Je sentais de la fierté dans la voix d’Aymeric. Il avait pu dire qu’il était mo mari et le père de l’enfant que je portais. C’était la première fois qu’il pouvait répondre comme cela dans cette situation. Dieu sait combien de fois il avait eu cette question. Byron acquiesça et sourit comme pour donner son accord. Mais il ne put se retenir de me faire un commentaire. « Tu as repris quand ? Tu sais que tu ne peux pas… M'enfin, Louise! Que t'est-il passé par la tête ? ». Il se fâchait, cela s'entendait au son de sa voix. Aymeric allait-il apprécier qu'une autre personne que lui s'énerve un peu sur moi ? Je le regardais alors, innocente. « Je n’ai rien fait ! ». J’essayais toujours, on ne sait jamais. Je me doutais qu’Aymeric allait intervenir. Tiens, je n’avais pas dit au médecin que mon mari était aussi mon psychiatre, qu’il était au courant de ce qui se trouvait dans mon dossier. J’étais là, gênée par la situation. A ce moment précis, j’aurai voulu être une petite souris.
Nous attendions donc les résultats de l’échographie. Il bougeait cet engin d’une façon rapide. Il cherchait quelque chose, c’était certain. Je lâchais alors l’écran du regard pour capter celui d’Aymeric. Je lui souris doucement. L’annonce se fit alors. Nous attendions une fille ! Les larmes aux yeux, je serrais la main de mon mari. « Une petite fille ! ». J’étais heureuse. J’allais pouvoir lui acheter des petites robes maintenant. Je voulais connaître la réaction d’Aymeric voir si cela lui plaisait ou s’il attendait plutôt un petit garçon.
A la fin de l’examen médical, une infirmière entra dans ma chambre et tendit les résultats à Byron. Rapidement, il ouvrit l’enveloppe. A sa tête, cela n’était pas très positif. Il regarda alors Aymeric. « Monsieur, je peux vous parler dehors ? ». Je les regardais tous les deux. Namého, c’est de moi que vous allez parler ? Je peux savoir, non ? « Et moi ? ». Le regard froid de Byron en fut assez que pour savoir que je n’avais pas mon mot à dire. Je les laissais donc quitter la pièce. Je me levais alors pour me rhabiller, enfiler la blouse assez sexy que je portais.

Aymeric se mêlait de la conversation. Je voulais éviter de dire à mon médecin. Parce que oui, je pouvais le considérer comme tel vu le nombre innombrable de fois où il s’était occupé de moi après avoir bu trop d’alcool ou autre. C’était bien souvent lui qui se trouvait aux urgences pour me « récupérer ». Il m’avait déjà sauvé la vie maintes et maintes fois. « Oui, Louise, explique – moi ! Parce que vous êtes au courant de quoi, vous, sur Louise ? ». Il avait dit cette première phrase toujours sur son ton fâché. S’ils s’alliaient ces deux – là, cela allait être très compliqué pour moi… « Nous sommes là parce que j’avais un mauvais pressentiment sur la crevette. ». Je leur souriais alors à tous les deux. Byron, lui, ne me souriait pas. Il était fâché, vraiment. Je commençais à vraiment bien le connaître. Il savait prendre sur lui mais quand c’est trop, c’est trop ! J’espérais que ça passe, vraiment ! Parce qu’avoir les deux sur le dos, ce ne serait pas facile…
C’était donc une petite fille. C’était confirmé ! Aymeric me parlait alors de la recherche de prénom. Je préférais ne pas y penser pour le moment. Il n’est pas sûr que ce petit être survive. Elle pouvait s’en aller aussi rapidement que ce qu’elle était venue dans les jours à venir. « On va attendre encore un peu. ». Je lui souris alors. Pas besoin qu’il sache ce que je pense maintenant. Je ne voulais pas gâcher ce merveilleux moment. « Une petite fille. C’est ce que tu préférais, mon cœur, non ? ». Je la voyais déjà courir partout. Je savais qu’elle allait être magnifique. On craquait rapidement pour notre enfant. Et j’étais certaine que j’allais avoir un avis subjectif sur la question.
Byron et Aymeric quittaient tous deux la chambre. Ce premier voulait parler en privé au deuxième. Oh, je me doutais bien que c’était à mon propos. « Comment tient – elle le coup ? ». Il s’inquiétait pour moi. « Elle boit et se drogue encore souvent ? ». J’essayais alors de regarder par la fenêtre leurs réactions. Mais c’était compliqué. Je n’étais pas une experte en la matière. « J’ai demandé à vous voir, seul, parce qu’au vu des résultats, je peux dire que Louise ne prend pas son traitement. ». Il prit alors une respiration. « J’ai été vérifié dans son dossier. Cela fait deux bonnes semaines qu’elle ne s’est pas rendue en dialyse. A ce rythme – là, elle ne tiendra pas le coup. Alors, j’ai deux solutions devant moi. Soit, je l’hospitalise jusqu’au moment où elle accouche histoire d’être certain qu’elle suit son traitement à 100 pourcents. Soit, vous faites attention à elle. Louise ne pourra plus aller travailler. Il en est hors de question. Elle va être de plus en plus faible. Une chose est certaine, elle ne peut plus continuer à ce rythme – là. ».

C’est qu’ils discutaient ces deux – là… Je n’entendais rien, strictement rien. Byron informait – il Aymeric de la situation ? « Non, elle ne suit pas son traitement. Je ne sais pas, je ne comprends pas ce qu’elle recherche… ». Le ton ne montait. J’entendais des choses, oui. Mais rien de compréhensible. Il n’y avait pas un mot plus haut que l’autre. « Vu que vous êtes aussi son médecin, je vous laisse lui annoncer tout cela… ». C’est que Byron savait que j’étais prête à tout. Quand quelque chose ne me plaisait pas, j’avais pris pour habitude de le dire. Et là, c’était le cas.
J’étais donc là, debout, prête à partir. J’avais veillé à poser un pansement sur l’endroit où Byron avait prélevé mon sang. J’étais dans une tenue qui mettait mon corps en avant mais elle ne convenait pas à Aymeric. Il est vrai que je m’étais faite reluquée plusieurs fois sur la soirée. Ils étaient encore tous les deux dans le couloir. Quant à moi, j’avais décidé que cela suffisait. Il était temps de rentrer à la maison. Il suffisait de voir la tête d’Aymeric pour deviner qu’il voulait juste dormir. Je lui en avais encore fait voir de toutes les couleurs. J’ouvrais alors la porte en douce. Byron et Aymeric se tenait un peu plus loin. Ma chambre était sur un coin. Il était donc facile de prendre la fuite sans se faire repérer. J’y étais arrivée, j’étais au bout du couloir. J’allais marcher direction la porte d’entrée de l’hôpital. Où j’allais ? Simplement rejoindre ma voiture pour rentrer à la maison. Je me sentais apte à conduire. Et puis, j’étais encore capable de faire des choses ! Ou pas… Je sentais que j’avais du mal à marcher. Atteindre le bout du couloir m’avait pris cinq bonnes minutes. Je me tenais au bout de bois accrochés au mur. Je marchais très doucement. Courage Louise, tu vas y arriver ! Au bout du couloir, je tombais en pleurs. Tout allait changer à partir de maintenant. Je n’étais plus capable de faire grand chose. Etait – ce l’alcool qui arrêtait de faire son effet ? J’avais la nausée, c’était certain.

Je ne m’étais pas blessée. Je n’étais pas tombée. Je m’étais arrêtée de moi – même, me rendant compte que je n’étais pas capable physiquement d’aller plus loin. Je tombais donc si bas que ça… Aymeric était inquiet, je le voyais sur son visage. « Non, je n’ai rien. Ne t’inquiète pas. ». Où j’allais ? Simplement à la maison, retrouver mon lit et dormir jusque demain. Aymeric avait pris la peine d’essuyer les larmes sur mes joues. J’avalais alors ma salive comme pour me donner une contenance. Reprend tes esprits, Louise. « Je voulais simplement récupérer ma voiture pour rentrer à la maison… ». Conduire ? Quelle idée. Je n’étais déjà pas capable de marcher. Etait – ce l’alcool ? La drogue ? Ou plutôt la maladie qui s’installait de plus en plus ? Je ne le savais pas. Mais une chose est certaine, je n’avais pas envie de ralentir. Je voulais continuer de vivre ma vie à 200 pourcents : sortir boire un verre, aller travailler, sauver des vies, … Et j’en passe !
Aymeric voulait que l’on parle. « Discuter de quoi ? ». J’attrapais alors de nouveau la barre en bois pour essayer de tenir seule. Mais c’était peine perdue. Je me dirigeais alors tant bien que mal vers l’ascenseur. Oublions les escaliers… J’avais appuyé sur le bouton. Plus qu’à attendre qu’il arrive. « Tu me déposes à ma voiture pour qu’on la rentre aussi ? ». Je me doutais de sa réponse. Mais j’essayais tout de même, on ne sait jamais. En fait, j’avais entrepris de quitter l’hôpital. Mais avais – je une autorisation de sortie ? Y avait – il des examens complémentaires à effectuer ? Je m’en foutais un peu de tout cela. Ca passait bien au – dessus de mes oreilles. Je n’allais pas rester ici ad vitam eternam en attendant que le temps passe.

Pourquoi je ne l’avais pas attendu ? Bonne question… Sur le coup, je n’avais pensé qu’à moi. « Je voulais rentrer. J’avais peur qu’il m’hospitalise à nouveau. ». Aymeric ne semblait pas avoir compris mon plan. « J’allais simplement chercher ma voiture à pied. ». Bon, c’est vrai, cela faisait une trotte. Mais jamais je n’avais pensé à prendre la sienne. « Je n’avais pas tes clés de toute façon… ».
Aymeric voulait que l’on discute. Je savais que c’était parce que je n’avais pas bien réagi. Mais je n’en avais pas envie. A quoi cela servait – il ? « On est obligés d’en parler ? Maintenant ? ». Je n’avais envie d’en parler ni maintenant ni jamais à vrai dire. Je le regardais alors. « Ou d’en parler tout court ? On ne peut pas passer au – dessus ? ». J’étais d’ailleurs étonnée qu’il n’ait pas encore essayé de me parler de ma rechute. Je touchais alors du bois. J’avais tellement envie qu’il s’en passe aussi. Mais ce n’était pas son genre. Son métier, c’était d’écouter les gens, d’essayer de les comprendre. Et il était mon psychiatre. Je savais donc que j’allais devoir lui en parler…
« Je ne pense pas l’avoir fermée… ». Faux, je voulais tout simplement la récupérer. « Alors, autant la ramener en même temps, non ? ». J’essayais. Il fallait bien, non ? Qui ne tente rien n’a rien… Et pour le coup, je voulais tenter.
Nous étions rapidement de retour à la maison. Inutile de vous dire qu’il ne me fallut que quelques minutes pour m’endormir. Le lendemain matin, il devait être 7 heures lorsque j’ouvris les yeux. Aymeric dormait encore paisiblement à mes côtés. Je m’habillais alors rapidement d’un jeans et d’un chemisier blanc, un peu transparent. Je mis rapidement un collier. J’avais la gueule de bois et un mal de crâne assez conséquent. Je quittais la chambre sur la pointe des pieds afin de laisser mon mari dormir. Cela ne lui ferait pas de mal… Je fermais la porte de la maison. Je n’avais pas pris le temps de déjeuner. Je le ferai bien plus tard. Je pris alors le bus direction l’hôpital. Apparemment, j’avais eu un rendez – vous pour une dialyse d’urgence. Je n’avais pas forcément envie de m’y rendre. Mais je devais montrer à Aymeric que j’en voulais. Ce qui n’était pas totalement vrai… J’étais donc là, installée sur mon fauteuil à attendre que cette machine fasse de l’effet. Et dire que j’en avais pour minimum trois heures… Je n’avais rien pris pour m’occuper, je n’y avais pas pensé. D’autres choses trottaient dans ma tête.

Ce qu’auraient pu penser les hommes… Je le regardais alors. « Oh, j’en connais beaucoup qui trainent dans ce quartier. ». La plupart étaient des dealers que j’avais fréquentés. Je savais que faire pour avoir la paix. Et si jamais un autre venait m’ennuyer, j’avais toujours mon dealer actuel prêt à me défendre. J’étais une fille gentille, je n’ennuyais pas mon monde et rendais plutôt service. Les gens me le rendaient alors comme ils le pouvaient. Je m’étais déjà retrouvée dans une telle situation, plusieurs hommes que je connaissais étaient intervenus afin que l’on me laisse tranquille.
Que l’on fait tout ça pour ton bien. Qui ca on ? Mon bien ? Quel bien ? Je n’avais pas envie de lui répondre et d’entrer dans de grands débats. Je préférais donc m’abstenir et me taire. C’était tellement plus simple. Et puis, ce n’était pas le moment… « On va s’abstenir d’en parler maintenant de toute façon… ». Je le regardais alors d’un regard défiant. Ouh, calme – toi Louise ! Ce ne serait que lui donner une raison de plus de vouloir en parler à cet instant précis.
Avant de me rendre au service de nephrologie, j’avais veillé à passer en psychiatrie. Je passais par leur accueil spécifique. Je voulais les prévenir qu’Aymeric ne viendrait pas travailler ce matin. Je ne me sentis pas obligée de leur donner une raison. Je voulais simplement qu’il dorme en paix. Pas besoin de le déranger ni même pour une urgence. J’avais rapidement croisé Samuel qui prenait de mes nouvelles. Etant un collègue à mon mari et psychiatre en même temps, j’avais fait attention à ma réponse. Je lui avais tout de même demandé s’il voulait bien prendre les urgences matinales d’Aymeric s’il en avait. Je ne savais pas comment mon mari allait planifier le reste de sa journée et ce n’était certainement pas à moi d’en décider… Il était donc huit heures quand je me retrouvais branchée à cette machine. Une aiguille dans le bras. Tout ce que j’aimais… Je fermais alors les yeux. Trois heures à attendre. Cela allait être long, très long. Surtout que j’avais laissé intentionnellement mon téléphone portable à la maison. Je ne voulais pas être contactable…

Je m’étais rendue à ma dialyse uniquement pour montrer à Aymeric que je pouvais être de bonne volonté. Mais cela n’allait pas durer. Ce n’était pas dans mes projets. M’y rendre m’ennuyait plus que tout et disons que ca ne faisait pas du bien… J’étais donc là plus par obligation que par envie. Qui avait envie de se faire piquer et de rester branché à une machine trois heures durant. J’avais donc décidé de fermer les yeux. Le temps passerait certainement plus rapidement que si je regardais constamment l’horloge. D’autres personnes étaient présentes. Mais, pour une fois, je n’avais pas envie de faire la sociable. Je n’avais pas envie de parler, de faire connaissance avec de nouvelles personnes. Mon mal de tête jouait beaucoup aussi. Je sentais quelqu’un me tenir la main. Il ne me fallut que peu de temps pour ouvrir les yeux. Cela ne pouvait être qu’Aymeric. Il n’était jamais venu avec moi. Jamais il ne m’avait accompagné à une dialyse. Quelle surprise donc. Je le regardais, souriant un peu. « Bonjour toi ! ». Je ne l’avais pas encore vu de la journée. Et la saluer était le minimum. « Tu dormais paisiblement. Et je me sentais capable de prendre le bus. ». Me retrouver seule aussi. Ce n’était pas la première fois que je me retrouvais à regarder le plafond en attendant que le temps passe. Les fois précédentes, j’avais veillé à prendre les dossiers de mes patients pour étudier leur cas, trouver une solution. « J’ai … faim ! ». Je lui souriais alors. Il ne devait certainement pas s’attendre à cette réponse. Mais c’était la vérité. J’avais juste envie de manger quelque chose. Mais j’avais la nausée. Je doutais donc que ce soit une bonne idée. « Mais j’ai la nausée. Alors, je vais éviter. Sinon, j’ai un mal de crâne terrible. Il finira bien par passer. Et cette aiguille me fait atrocement mal. J’aurai bien voulu m’en passer pour le coup… ».

J’aurai pu le réveiller, oui. Mais cela n’avait pas été dans mes projets. Il avait passé une soirée d’enfer de ma faute. La nuit avait déjà été courte comme cela. Alors, s’il s’était levé à la même heure que moi… J’étais une lève tôt – couche tard. Je n’avais pas besoin de beaucoup d’heures de sommeil. Je me doutais d’ailleurs que dès que la petite serait parmi nous, j’allais me lever la nuit. « J’ai croisé Samuel, oui. Il prenait toutes tes urgences matinales. Tes patients ont été prévenus que tu n’étais pas disponible. Par contre, je n’ai rien pris comme engagement pour cet après – midi. Tu dois les contacter ou passer dans le service pour les tenir au courant. ». Je pris alors ma respiration. « J’espère que tu ne m’en veux pas trop ? ». Je m’étais peut – être un peu trop mêlée de sa vie professionnelle. J’avais simplement voulu qu’il se repose, qu’il souffle un peu, qu’il soit seul…
« Oh non, je n’ai pas mangé depuis hier midi. Alors, autant te dire que la faim se fait bien ressentir. Ca finira bien par passer ! ». Je lui souris alors. Je n’avais pas pris le temps de déjeuner ce matin. J’étais partie le plus vite possible. Plus vite j’y étais, plus vite je serai libérée !
Aymeric me proposait alors d’aller me chercher un paracétamol. J’avais une aiguille plantée dans mon bras de chaque côté. L’une pour la dialyse, l’autre pour me donner un peu de glucose. C’est que la dialyse fatiguait beaucoup les patients. Je pouvais donc leur demander de m’en donner un peu par là. « Non, regarde, j’ai une deuxième aiguille. Je peux leur demander de m’en donner un peu par là. ». Je lui souris. Nous parlions comme si de rien n’était. Comme si la soirée d’hier ne s’était pas passée. Cela allait – il durer ?
« Oh, je n’aurai peut – être pas dû faire celle – ci mais j’aurai dû faire toutes les autres. J’y gagne finalement… ». Et voilà. Aymeric essayait de comprendre pourquoi je ne m’y étais pas rendue régulièrement, pourquoi je n’avais pas suivi le traitement. Non mais, sérieusement, avait – il vu l’endroit où je me trouvais ? Est – ce que ça avait l’air marrant ? « Ce n’est pas que je te l’ai caché. Disons juste que je me suis abstenue de te le dire. J’y suis allée régulièrement, au début. Et puis, ça prenait beaucoup de temps. C’est pas chouette, ça fait plutôt mal. C’est trois heures de ta vie perdue, où tu ne fais rien à part attendre… Non, ce n’est définitivement pas fait pour moi ! Et puis, tu vois, j’ai du en faire quatre à tout casser depuis deux mois. Mais je suis encore là, bien vivante. Alors, est – ce nécessaire ? ». Je me doutais que cette réponse ne lui suffirait pas, qu’il allait plutôt se fâcher en entendant ces dernières phrases.

Aymeric et moi n’étions pas le seul couple de médecin de l’hôpital. Loin de là même. Mais apparemment, nous étions le plus intriguant. Les gens aimaient avoir des ragots à raconter. Et pour le coup, il n’y avait pas un bruit dans la pièce. J’appelais alors une infirmière. « Il y aurait moyen de mettre des paravents autour de nous ? ». Comme cela, en parlant tout bas, il n’y avait pas moyen de nous comprendre. Nous avions une conversation privée qui ne regardait personne d’autre que nous. L’infirmière s’exécutait donc. Nous avions tout de même un peu d’espace. Aymeric était capable de se mettre debout et de marcher un petit peu.
Il allait donc me suivre ? Se faire prévenir de chacune de mes dialyses ? Je n’allais plus pouvoir les brosser… Je le regardais donc. « Tu es sûr ? Tu es déjà débordé par le travail. Tu ne vas pas t’ajouter de nouvelles choses… ». J’espérais vraiment que cela fonctionne. Même si, à mon avis, c’était peine perdue… J’allais donc être surveillée 24 heures sur 24 ? Bon, l’être par son mari n’était pas déplaisant. Mais tout de même… Je préférais largement pouvoir faire ce dont j’avais envie sans que quelqu’un ne se sente obligé de m’y accompagner et de regarder ma régularité.
« Tu voulais que je te dise quoi ? Tiens, je ne suis pas allée à mes dialyses la semaine passée… Tu n’aurais pas été content. On se serait encore disputés… Non, j’ai préféré m’en passer. ». Il me parlait alors de ses trois heures dans une vie. « Mais ce n’est pas une fois trois heures ! C’est trois heures fois 3 pour une semaine. 9 heures de ma semaine perdue à être assise ici attendant que le temps passe en souffrant. Donc, désolée de ne pas l’avoir voulu, de l’avoir fui. ». Je parlais bas mais on pouvait entendre dans mon ton que j’étais énervée. « Comment ça me faire hospitaliser ? Il faudra me passer sur le corps pour que ça se passe. ». Il en était hors de question. Je n’allais pas encore rester ici cinq mois. Non mais ! Il m’avait déjà bien vue ? Je trouvais déjà que 9 heures, c’était du temps perdu alors toute la journée… « Et bien, j’aurai encore de la chance alors… C’est bon, j’en ai faite une, j’ai la paix pour deux semaines maintenant, non ? ».

Je n’étais pas réputée pour faire attention à ma santé malgré mon travail. Je buvais et me droguais assez souvent. Bon, il est vrai que j’avais du arrêter ces derniers mois dû à ma grossesse. Si j’avais pu continuer… La nouvelle de ma maladie n’avait rien arrangé. Au lieu de tirer la sonnette d’alarme, j’y étais allée de plus belle. Entre temps, Aymeric était entré dans ma vie. Et quelque chose avait changé. Avec lui, j’avais trouvé la force d’arrêter tout cela. Mais la dialyse était le trop peu. J’étais capable de me gérer seule, oh que oui ! Seulement, je n’avais pas envie de la faire. Je trouvais cela tellement … inutile. « Fini alors d’aller courir quand tu en ressens le besoin ? De simplement te mettre dans le fauteuil ? D’aller voir Livia ? ». Cette dernière avait déjà été un sujet de dispute. Je me permettais donc de le remettre sur la table.
Aymeric semblait tellement tenir à moi. Nous étions mariés l’un à l’autre. Il assumait son rôle à fond. Je ne pouvais pas le lui reprocher… Il me l’avait promis dans ses vœux et il me montrait comme cela de quoi il était capable pour moi. Oh, ne vous en faites pas, il me l’avait déjà montré à plusieurs reprises ! « J’ai pris soin de moi ! ». Mais non, bien sûr que non. « Je me suis rendue à mes visites chez le gynécologue, j’ai fait les prises de sang demandées. ». Je prenais soin de mon bébé et de sa santé mais pas de la mienne. Il comptait plus. Il était tout innocent, ne demandait rien à personne, juste que je le porte pendant neuf mois. Je ne criais pas, j’employais d’ailleurs un ton plutôt bas mais on pouvait sentir dans ma voix mon énervement, mon envie d’exploser, de partir dans tous les sens. Je faisais preuve d’une certaine contenance. « Je veux vivre, c’est certain. Mais … comme avant. ». Je n’entendais pas par là que je voulais vivre en pouvant boire et me droguer autant que je le voulais. J’avais bien compris que cela n’était plus possible, plus envisageable. « Freiner le rythme ? Comment ça ? Enfin, j’aime mon boulot. Je ne vais pas me passer d’aller voir les enfants, de leur raconter des histoires, de les soigner, … C’est ma passion. C’est une de mes raisons de vivre bien que j’en aie plusieurs. Je ne suis pas suicidaire. Mais m’enlever mon métier ? Ce pour quoi je suis faite ? Ah ça, non ! ».

Pourquoi je parlais de Livia ? Tout simplement parce que j’étais rancunière. Je pouvais me souvenir de paroles ou de gestes qu’il a eu envers d’autres personnes cette dernière année. Oh, ne vous en faites pas, je me souviens aussi de tous les bons moments, de tous ceux où il était avec moi… « Elle n’a peut-être rien à voir là – dedans mais dès que tu as besoin, c’est elle que tu vas voir. Pas moi… ». Il y avait un ton derrière. Mais je ne savais pas vraiment le décrire. Etait – ce de la déception ? De la rancune ? Je ne sais pas trop, un mélange des deux très certainement.
Apparemment, je n’avais pas le choix et vu le temps emprunté par Aymeric, je n’avais plutôt pas intérêt à répondre. Je me tus alors sur le sujet. Je préférais le laisser croire qu’il avait gagné. Mais, au fond, je savais que je pouvais faire ce dont j’avais envie. Si j’étais surveillée, que pourrais-je faire de plus ?
« Tu me mets au défi de te le prouver ? ». Mais pour qui me prenait – il ? Il ne me croyait pas capable de tout donner dans mon boulot ? De continuer à travailler comme je le fais maintenant ? Certes, je m’étais calmée depuis quelques temps avec les gardes. Je voulais être présente pour mon mari. Le rythme avait donc déjà diminué. Mais je ne pouvais pas faire moins. Mon avenir était en jeu, ma carrière dépendait de ce que je faisais pour le moment. « Je ne peux pas m’arrêter, diminuer mon temps de travail ou je ne sais quoi. Je veux mon diplôme et exercer seule sans être une interne. C’est tout. C’est comme cela. ». Je le regardais alors, sûre de mes arguments. « Tu aimes ton boulot ? Tu serais prêt à le quitter comme cela du jour au lendemain ? ».