Pas que j’étais un grand fan de football, mais j’aimais l’ambiance.
Comme souvent, mes amis m’appelaient lorsqu’il y avait un grand match pour le regarder ensemble dans un bar non loin de chez moi. Une petite bière avec des amis, il n’y avait rien de mieux. Surtout pour oublier le travail et ma vie privée catastrophique. Il n’y avait rien de mieux que des fous rires, de la bière et des cris pour supporter une équipe.

Quand le match fut terminé, nous allions dans un autre bar un peu plus calme, pour aller boire quelque chose de plus fort. Enfin pour eux, pas pour moi. Mon père m’avait montré que l’alcool avait des effets nocifs. Je n’appréciais pas les alcools forts, je ne voulais pas devenir comme lui. J’offrais la première tournée à mes amis, je m’approchais du bar réclamant alors des boissons pour tout le monde au barman. Sans compter, que j’avais tellement vu dans mon cabinet des gens alcooliques, que ça m’effrayait. Je ne voulais pas devenir comme ça.

“Hey ! Que puis-je faire pour toi?”

Je lui donnais alors l’ensemble des commandes pour mes amis. Je patientais au bar attendant qu’il nous serve toutes les boissons. Je m’accoudais au bar, observant les gens autour de moi. Un instant, j'ai cru revoir un fantôme… Comme pétrifié, j’avais l’impression de revenir plus de 10 années plus tôt. Une jeune femme blonde que je voyais de dos. Louise. Cette jeune fille que j’avais ramené tant de fois chez elle. Je me frottais les yeux et secouais la tête. Cela fait des années que je ne l’avais pas revu, ce ne pouvait pas être elle. Même si j’avais tellement cette impression de déjà-vu. Le barman revenait vers moi, un plateau chargé. Je me contentais de lui tendre ma carte bancaire, n’arrivant pas à détourner le regard. J’avais oublié Louise… J’avais pris soin d’elle pendant plusieurs années, elle était restée là dans un coin de ma tête. Le barman revient quelques minutes plus tard, me tendant à nouveau ma carte.

“Et voilà pour toi. Bonne soirée”

Je pris le plateau et me dirigeais avec le plateau vers la table de mes amis. Je n’arrivais pas à me sortir cette jeune femme de la tête, me tournant sans cesse vers elle. J’avais envie d’aller lui demander son prénom. *Aymeric passe à autre chose*.

“Tu en penses quoi, Aymeric? Aymeric?”

Je secouais ma tête essayant de revenir à l’instant présent. J’étais tellement dans mes pensées que je n’avais pas entendu la question.

“Tu peux répéter? J’étais concentré sur autre chose.”

Un rire général se déclencha dans notre petit groupe.

Mes parents étaient partis depuis quelques heures seulement. Je les avais déposés à l’aéroport. Puis, j’étais rentrée à la maison. J’avais fait quelques trucs. J’avais été appelée par l’hôpital. Un de mes petits patients avait besoin de moi. Je m’en étais chargée puis, j’étais rentrée. Je n’étais pas de garde aujourd’hui. Et, en plus, j’avais prévu de sortir ce soir. Comme au bon vieux temps. Je n’étais plus avec Grégory depuis quelques jours. Mes parents n’étaient pas là. C’était le bon timing. Le bon moment. Je m’étais donc changée : une petite robe noire décolletée et courte. Mais surtout, des talons. C’était bien les talons pour danser dans un bar. Je comptais y croiser mon dealer. Je n’avais plus rien. Je devais avoir des doses en réserve pour tenir le coup la semaine qui arrivait. Je comptais travailler comme une folle. Mais j’en aurai besoin une fois que je serai à la maison. J’avais donc pris le bus pour me rendre dans mon bar habituel. Celui où j’allais il y a quelques années. Je devais y retrouver de vieilles copines que je n’avais plus vues depuis longtemps mais qui étaient dans le même trip que moi : danse, alcool et drogue. A peine arrivée, nous nous étions serrées dans les bras toutes les trois. Celle bonne vieille bande d’il y a des années. J’aimais retourner en enfance comme cela. J’étais libre et indépendante. Libre de faire ce que je voulais. Je m’étais rapidement dirigée vers mon dealer. Il savait exactement ce que je prenais même si cela faisait longtemps que je n’avais plus fait appel à lui. Je le pris en échange d’argent. Maintenant que j’étais pédiatre officielle, mon salaire me permettait d’en acheter quand j’en avais le besoin. Je vivais toujours chez mes parents. Je n’avais aucune charge. Mon argent était donc consacré à mes sorties. Je ne faisais pas d’économies. YOLO. Je profitais de la vie. Je m’étais abstenue d’en profiter pendant quatre années. Je m’étais rendue aux toilettes pour piquer ma dose dans le creux de mon bras avant de rejoindre mes copines au bar et commander une tequila. Je la bu d’une traite. C’est comme cela que se passait la soirée : enfiler des téquilas tout en étant défoncée. Je ne pensais plus à rien. Juste au bonheur d’être là, comme avant. Puis, mon téléphone vibra. Qui pouvait bien m’appeler à deux heures du matin ? Je m’excusais auprès de mes copines aussi défoncées que moi. Je m’isolais loin du bruit, à l’extérieur. Près de la porte. Dans un petit coin. « Allo ? ». Je ne comprenais qu’à moitié ce que l’on me disait de l’autre côté du téléphone. « Oui, Louise Jaylinn Everdeen à l’appareil ! ». J’avais fait le signe du garde à vous. J’étais défoncée. Tout me faisait rire. Mais peut-être un peu moins lorsque j’entendis qu’il m’annonçait que mes parents venaient de décéder dans un crash d’avion. Comment ça ? Je raccrochais le téléphone rapidement. Je ne leur avais pas répondu. Je m’étais mise en boule contre le mur. Assise par terre. Ma tête dans mes genoux. Je pleurais. J’en tremblais. L’annonce de la mort de mes parents, l’alcool et la fin de l’effet de la drogue avaient raison de moi. Je n’étais plus capable de rien.

”Mais c’est que notre petit Aymeric observe les femmes présentes dans ce bar, quel petit cachotier ! “

Les rires s’amplifièrent, et je me joignais à eux. Ne lâchant pas du regard la tignasse blonde assise quelques tables plus loin. Elles étaient accompagnées de deux autres amies. Je me reconcentrais sur les conversations autour de moi.

“Qui a dit qu’observer  était un crime? Surtout que vous  n’êtes pas mieux, vous n’êtes pas des innocents, mes amis !”

William rit un peu plus, posant sa main sur mon épaule. Il leva son verre pour nous inviter à trinquer à nouveau. Nos verres s’entrechoquèrent, avant que j’avale une gorgée de ma bière. Mon regard se porta à nouveau à l’endroit où se trouvait la jeune femme. Sauf que… Mon regard se porta à droite, à gauche, puis vers la porte d’entrée. Mais où était-elle? Les battements de mon coeur s’accélèrent pendant un instant. Je me levais de mon siège, portant à nouveau le regard vers la porte d’entrée. Comment avais-je pu la rater? Une tignasse blonde apparaissait au loin, elle semblait être assise au sol, je n’arrivais pas trop à déterminer. Elle semblait être prise de tremblement, la tête dans ses genoux. Mes amis m’observaient, en haussant les sourcils. Oui, j’avais un comportement plutôt étrange, il faut le reconnaître.

”Je reviens, ne finissez pas vos verres trop vite, je n’en ai pas pour longtemps.”

Je sortais de ma chaise, me dirigeant doucement vers la porte d’entrée. Je sentais le regard d’un de mes amis sur moi, suivant mes faits et gestes. La jeune femme n’avait pas bougé d’un pouce, elle semblait être de plus en plus prise de spasmes. Cet instinct protecteur revenait en flèche. Peut-être était-ce Louise? Ou non? Peu importe, je n’allais pas la laisser dans cet état là. Je m’approchais d’elle, essayant de ne pas la brusquer. Je posais une main sur son épaule.

”Tout va bien? Je peux vous aider?”

Je ne pouvais pas m’empêcher de jouer les bons samaritains. Peut-être était-ce parce que j’avais une sœur plus jeune? Et que j’aimerais que l’on prenne soin d’elle si jamais elle n’était pas dans son assiette? Cela est possible. Peut-être que mon métier aussi influençait mon comportement dans la vie de tous les jours. De plus, j’étais assez intrigué par cette jeune femme depuis mon arrivée dans le bar. J’attendais qu’elle relève la tête pour voir son visage. Est-ce possible que ce soit Louise? Elle ne connaissait pas mon visage… Je l’avais vu plus de fois qu’il ne le fallait pour ma part, je saurais la reconnaître sans soucis.

Assise en boule contre le mur dehors, je pleurais à chaudes larmes. Je n’arrivais pas à me calmer. Impossible. Habituellement, j’avais un énorme contrôle de moi-même. En tous cas, de mes émotions. Mais pas là. entre la drogue, l’alcool et l’annonce du décès de mes parents, ça faisait beaucoup voire de trop. Je n’avais pas consommé depuis un petit temps. C’était donc plus compliqué pour moi d’en absorber une telle quantité. J’avais senti une main se poser sur mon épaule. Je ne relevais pas la tête tout de suite. Je n’étais pas sûre d’avoir envie que l’on me voie comme cela. Et puis, c’était une voix d’homme qui me demandait si tout allait bien. Ce n’est pas la voix d’une de mes copines. Non, une voix d’homme. Elle me semblait familière mais inconnue en même temps. Ce n’était pas Grégory, c’était déjà ça ! Je n’arrivais pas à me calmer. Les tremblements s’étaient ajoutés. C’était l’heure de prendre une autre dose pour éviter tout cela. Mais pas là, pas alors que j’étais observée. Je n’en avais pas vraiment le droit. « On peut dire ça. ». J’avais envie d’être seule. Alors, je noyais le poisson. Je finissais par relever ma tête pour voir mon interlocuteur. C’était un beau jeune homme. « Je pense que je ferai mieux de rentrer à la maison. Merci pour votre attention. ». J’essayais tant bien que mal de me relever. C’était compliqué. Ma tête tournait. Je ne tenais pas droite. Je m’appuyais sur le mur pour m’aider. Mais non, c’était peine perdue. C’est comme si mon corps s’était mis en mode off pour faire face à la nouvelle que je venais de recevoir. Il n’avait plus envie de réagir. Je pense même qu’il avait envie de dormir là. Alors, je me couchais. Je ne me mettais plus en boule. Je m’allongeais, parallèlement au mur serrant mon sac contre moi. Il contenait mes autres drogues. Je n’avais pas envie qu’on me les vole. J’allais en avoir besoin dans les jours qui arrivaient. Je le savais. Je n’arriverai pas à m’en passer. Pas en étant orpheline du jour au lendemain. « Vous pouvez y aller. Je vais me débrouiller. ». J’avais compris que ce serait comme cela maintenant : me débrouiller. Ne dépendre de personne. N’avoir personne qui m’attend à la maison. Gérer à ma façon.

La jeune femme gardait pendant un moment la tête baissée, je n’avais qu’une envie : la lui relever. Mais je me contentais d’attendre, la main sur son épaule, pour ne pas la brusquer. Une petite voix légère articulait quelques mots, espérant me rassurer, même si le ton de sa voix m’indiquait tout le contraire. Cette jeune femme n’allait clairement pas bien… J’allais dire quelques mots mais je fus coupé dans mon élan lorsqu’elle se décidait à relever la tête. J’étais comme pétrifié… Mon instinct avait été le bon. Depuis toutes ces années, elle n’avait pas changé. Peut-être avait-elle juste un visage plus mature? Mais je savais que j’étais capable de la reconnaître, non seulement ses boucles blondes, mais aussi son regard. C’était Louise. A peine avait-elle relever la tête, qu’elle essayait de se relever, me disant qu’elle allait rentrer chez elle. Mais elle ne semblait pas bien tenir sur ses deux jambes.

Des souvenirs me revenaient… Notre toute première rencontre dans ce même bar, elle avait abusé de l’alcool, elle avait à peine 15 ans. Elle s’était écroulée dans un des fauteuils du bar. Elle m’avait beaucoup marqué à l’époque, je n’avais pas voulu la laisser seule à la merci des hommes de ce bar. J’avais donc réussi à trouver ses coordonnées dans son portefeuille et l'avais ramené en sécurité chez elle. Ce petit rituel avait duré quelques années..

Je secouais à nouveau la tête pour reprendre mes esprits, je devais gérer la situation de Louise à nouveau. Elle s’était allongée au sol, serrant son sac dans ses bras. La laisser se débrouiller? C’était mal me connaître. Sans réfléchir, je la saisissais par dessous les bras pour la relever.

“Je ne vais pas te laisser seule ici, surtout dans cet état.”

Je ne lui laissais pas le choix et la remettais sur ses deux jambes. Sentant qu’elle pouvait s’effondrer à tout moment, je la soutenais par les épaules. Je rentrais à nouveau dans le bar, jetant un oeil à droite et à gauche avant de repérer un endroit où je pouvais l’asseoir un instant. Une fois assise, je posais à nouveau ma main sur son épaule et m’approchais d’elle pour lui parler. C’était un peu le problème, c’était difficile de parler dans un bar avec le bruit de la musique et le brouhaha des voix.

”Je te ramène chez toi, je n’en ai pas pour longtemps, je préviens juste mes amis de mon départ. Tu m’attends, d’accord?”

Je la fixais du regard, un instant. Avant de la lâcher et de rejoindre mon groupe d’amis. Ils se tournèrent tous d’un même mouvement vers moi lorsque je fus assez proche de la table. Leurs regards étaient interrogateurs. Je n’avais le temps de raconter l’histoire dans les détails, ils avaient juste besoin de savoir le principal.

”Je vais devoir vous laisser, une amie a besoin de moi. Je vais la ramener chez elle. Désolé d’écourter la soirée, mais je ne peux pas la laisser.”

Quelques tapes sur les épaules et je rejoins rapidement Louise. Sans réfléchir, je me penchais et la portais dans mes bras. Elle n’était clairement pas en état.

Je voulais simplement rester là. Laisser le temps que tout retombe : la dose de drogue, le fait que j’étais saoule. Mais surtout, que mon cerveau accepte que mes parents soient décédés. J’étais prête à rester là des jours. Je ne voulais plus rien de toute façon. Et j’étais incapable de bouger. C’est comme si mon corps me disait : zut. Ça suffit maintenant. J’ai besoin de temps pour me remettre. Et moi, tout ce que je pouvais faire, c’était de l’accepter. Je n’arrivais pas à aller contre de toute façon. « Dans quel état ? ». Je le lui avais demandé doucement. Je pense que je ne me rendais pas compte moi-même de comment j’étais. Je l’avais un peu regardé. J’avais ouvert les yeux. Mais je préférais les laisser fermer. Être dans mon monde. Un monde idéal. Le jeune homme avait réussi à me relever. J’étais debout mais je ne tenais pas sur mes jambes. C’était compliqué. Il me dirigeait vers l’intérieur du bar. Je n’en pouvais plus de tout ce bruit. Il m’avait déposée dans un fauteuil. Je devais attendre là. De toute façon, j’étais incapable de m’enfuir. J’avais senti la main du jeune homme sur mon épaule. Elle me faisait du bien. Je me sentais tellement moins seule. Il y avait quelqu’un pour veiller. Quelqu’un qui prendrait le soin de me ramener à la maison. Je lui en étais reconnaissante. Je n’étais pas certaine de me rappeler de quoi que ce soit le lendemain matin. Mais je sais qu’il y avait peu de personnes qui étaient comme lui. J’avais de la chance. « D’accord, je ne bouge pas. ». Je cherchais mes copines de soirée du regard. Elles étaient là. Elles dansaient sur le bar. Je me demande même si elles avaient vu que j’étais partie, que je n’étais plus là. Elles semblaient aussi défoncées que moi en réalité. Les clés de la maison étaient dans mon sac à côté de mes doses de drogue. Je n’avais pas de force. Je n’étais même pas capable de l’ouvrir pour les prendre. Le jeune homme verrait donc ce qui se trouvait dans mon sac. Tant pis, je lâchais prise. Je n’avais pas d’autre choix. « Hey toi ! Ca te dit qu’on aille chez moi ? ». Un autre homme, un peu plus vieux, était venu vers moi. J’avais l’air tellement faible qu’il voulait profiter clairement de la situation. Heureusement, l’autre jeune homme était revenu rapidement. Je l’avais observé soit lui soit mes copines tout ce temps. J’avais essayé de me mettre dans une bulle. Une bulle où rien ne pourrait m’atteindre mais c’était compliqué. Il me portait alors jusque sa voiture. « Merci. ». C’est tout ce que je réussis à dire. « Tu sais, tu n’es pas obligé. Tu ne me connais même pas. Je peux me débrouiller. ». Je n’aimais pas me sentir redevable. Je devais apprendre à me débrouiller par moi-même et à me gérer.

Je ne me rendis même pas compte que j'avais interrompu un autre homme qui tentait sûrement d'abuser de la faiblesse de Louise. A cet instant, je ne pensais à rien d'autres qu'à la sortir d'ici. Elle était dans mes bras, je me dirigeais vers ma voiture garée à quelques mètres d'ici. Il fallait dire que le calme faisait un bien fou. Louise me faisait remarquer que je n'étais pas obligé de m'occuper d'elle et que je ne la connaissais pas. Je laissais échapper un petit rire, avant de tourner ma tête vers elle.

"Oh crois-moi, je te connais bien. Tu m'as souvent dis ça... Mais tu sembles oublier nos conversations. Je ne t'en veux pas, pas de soucis."

Je voyais ma voiture au loin. Encore quelques pas, et nous étions arrivés. J'imaginais qu'elle avait tellement d'alcool dans le sang, qu'il n'y avait aucun moyen qu'elle ne se souvienne de la soirée. Peut être que cela m'allait finalement, j'agissais sans cesse dans l'ombre. La voiture capta ma clé dans la poche et s'ouvrit, bien pratique cette technologie. Je me contentais d'ouvrir du bout du bras droit la porte pour installer Louise sur le siège passager. Je l'aidais à s'installer ainsi qu'à mettre sa ceinture avant de me mettre à mon poste. Avant de démarrer l'auto, je me tournais vers Louise, essayant de capter son regard.

"Tu te sens mieux? Tu n'avais vraiment pas l'air d'aller bien tout à l'heure..."

Je me décidais à démarrer la voiture, pour prendre la route vers chez elle. Je n'avais pas oublié la route. Il m'arrivait des fois de passer devant en pleine journée, et d'avoir tourner la tête pour l'apercevoir. Même si je l'avais aperçu, je ne vois pas trop ce que j'aurais pu faire *Hey, Coucou, c'est moi, oui, tu sais, celui qui te ramène lorsque tu es bourrée.* Crédibilité : 0. Et pour preuve, elle n'avait pas l'air de savoir qui j'étais. Cela faisait tellement d'années en même temps... En parlant de ça, peut être ne vivait-elle plus là bas? Je tournais ma tête vers elle, gardant un oeil sur la route.

"Tu vis toujours au même endroit? Chez tes parents?"

Je venais de dire au jeune homme que nous ne nous connaissions pas. Même complètement bourrée et défoncée, j’arrivais encore à tenir un raisonnement cohérent, à réfléchir. J’avais eu l’habitude d’être dans cet état pendant des années. Mon corps avait fini par s’habituer. Il fallait toujours des doses de plus en plus fortes pour cela me procure le plaisir que je cherchais. Ce qui était de plus en plus mauvais pour ma santé, je suis d’accord. Mais je n’en avais que faire. Je n’avais plus d’attache maintenant. Mes parents étaient morts. Mon frère était au front. Je n’avais plus personne sur qui compter. Plus personne qui en aurait quelque chose à faire de moi… « Comment ça vous me connaissez bien ? ». Je ne sais pas pourquoi, j’étais passée au vouvoiement. De toute façon, il est clair que je ne me souviendrai pas demain matin de ce qu’il s’était passé ce soir. Il pouvait donc me raconter ce qu’il veut, j’aurai oublié rapidement. Il m’avait alors porté jusque sa voiture. Assise sur le siège passager, il avait même veillé à ce que ma ceinture soit mise. Un vrai gentleman cet homme ! J’appréciais. L’effet de l’alcool avait pris le dessus sur ma tristesse suite à l’annonce du décès de mes parents. Je pense que ce sera plus compliqué demain matin, quand je serai complètement clean. « Me sentir mieux… ». J’avais répété la fin de sa phrase machinalement. « Disons que l’alcool fait effet. ». Je ne parlais pas de la drogue. J’avais vite appris que c’était le genre de chose à cacher. Je gardais bien mon sac contre moi comme si je tenais à un trésor. J’avais peur que l’on me prenne mes doses. Je savais que j’allais en avoir besoin dans les jours qui viennent pour régler l’enterrement de mes parents, gérer l’administratif. Pour donner le change. Arthur ne reviendrait pas. Il ne me l’avait pas encore dit mais j’en étais sûre. Jamais il ne laisserait tomber ses frères d’armes. Je savais que je serai seule face à tout cela. Mes parents n’avaient pas de frère ni de sœur. Ils étaient enfants uniques. Il n’y avait que nous quatre. Maintenant, plus que nous deux. Donc, j’étais seule finalement. Lui, il était en Afghanistan. Me laissant là, complètement seule. Je lui en voulais tellement. « Je vis chez eux, oui. Enfin, ce n’est plus chez eux maintenant. ». Rien qu’à cette pensée, je tombais en larmes à nouveau. Les larmes coulaient sur mon visage sans que je sache me reprendre. J’étais faible. Très faible. Trop faible. Grégory ne serait pas fier de moi !