Aujourd’hui, j’en étais à six mois de grossesse. Je ne travaillais plus. Les médecins m’avaient écarté du travail. Entre toutes les maladies qui pouvaient trainer à l’hôpital et mon état de santé, j’étais de moins en mois capable de tenir debout toute seule. Mes efforts se réduisaient à me mettre dans un bain pour me laver. Tout ce que je détestais. Je ne supportais pas rester là à rien faire. Alors, quand Aymeric travaillait et qu’Aileen était au travail, j’essayais de lire des livres de chirurgie pédiatrique dans mon lit. Il n’y avait que cela à faire même si je fatiguais très rapidement. Ce jour – là, Aymeric avait décidé de passer l’après – midi avec moi. Nous nous étions rendus au parc. Il avait pensé à tout : la couverture, le frigo portable, les boissons fraiches et quelques sandwichs. Nous étions donc là, étendus sur le sol. Que c’était agréable. « Je suis totalement d’accord avec toi. On est tellement bien là. ». J'attrapais sa main. Nous discutions alors de tout et de rien, calmement. Tout à coup, une douleur intense au ventre se manifestait. Impossible de le lui cacher. Je souffrais vraiment à me plier en deux. « Aym’, j’ai très mal ! ». Je le regardais, larmes aux yeux. Je ne savais pas ce qu’il m’arrivait. J’étais tellement perdue. « Je ne comprends pas. Que se passe – t – il ? ».
Nous nous retrouvions rapidement à l’hôpital. Les médecins m’emmenèrent loin de mon mari. Je le regardais alors, une dernière fois. « Ca va aller. Ne t’inquiète pas. Je t’aime. ». Je cherchais tout le temps à le rassurer alors que je ne maîtrisais pas la situation. Je ne savais pas ce qu’il allait se passer. J’étais autant perdue que lui si pas plus. Je regardais alors les médecins. Nous n’étions plus qu’eux et moi. Ils avaient écarté mon mari. Pourquoi ? Je ne le sais pas. « S’il faut prendre une décision, c’est à lui de la prendre. Il est mon mari ! ». J’avais insisté. Je ne voulais pas qu’il soit mis de côté. Pas après tout ce que nous avions vécu tous les deux. « Louise, on va vous endormir afin de calmer vos douleurs lors des différents examens que nous allons faire. ». Je ne dis rien, je ne me débattais pas. Respire Louise, respire !

J’étais couchée sur un lit, inconsciente. Je vivais la scène de l’extérieur. J’étais incapable de bouger mon corps. Je sentais la main d’Aymeric attraper la mienne. Je souriais intérieurement. Je ne devais pas être dans un bel état. J’avais délégué à Aymeric. Je savais que j’allais être inconsciente. Je ne serai donc pas capable de prendre une quelconque décision. Aymeric et moi nous étions mariés par amour, il est vrai. Mais aussi parce que cela allait être tellement plus facile maintenant. Il allait pouvoir prendre ce type de décision légalement. Lorsqu’un patient n’était plus en état de choisir lui – même, on appelait d’abord le mari. Je me demandais réellement ce qu’il allait se passer. Mon cœur battait vite. Je ne contrôlais rien. Je ne supportais pas ce genre d’état. Mais, avais – je le choix ? Je l’avais cherché finalement… Je fus donc emmenée en salle d’opération. La chirurgie avait été longue, très longue. Le chirurgien m’avait ouverte et était resté quelques heures à regarder, ne sachant que faire. Après les six heures passées au bloc, le médecin revint en salle d’attente pour rencontrer Aymeric. « Monsieur, votre femme… ». Comment lui annoncer ? Comment le lui dire ? Le médecin éprouvait quelques difficultés à faire part à mon mari de l’étendue de la situation. Il n’avait pas pour habitude de parler aux patients. Je n’étais pas non plus la plus douée là – dedans. Mais j’essayais de m’entraîner. J’écoutais d’autres médecins le faire. Il m’arrivait aussi de me mettre devant une glace pour fixer les mimiques de mon visage. Entre une bonne et une mauvaise nouvelle, le médecin optait pour la bonne d'abord finalement. Autant lui laisser encore un peu de répit. « Nous avons du faire une césarienne d’urgence, votre fille est née. ». 24 semaines, c’est tôt, très tôt voire trop tôt. Mais il était toujours possible qu’elle s’en sorte. Rien n’était perdu. « La petite va devoir avoir de gros traitements et certainement quelques chirurgies. Mais, il y a de l’espoir. ». Le médecin lui souriait doucement. Il ne lui annonçait pas encore la couleur pour moi. Il faut dire aussi que j’étais couchée dans un lit, une machine travaillant pour mes reins. Il m’en fallait une au plus vite. Ils attendaient un don d’organes. J’étais la première sur la liste…

Aymeric était venu dans la chambre. Je me doutais qu’il ne me quitterait pas de si tôt. Il attendrait très certainement mon réveil. Mais allait – il aller voir notre fille ? Elle était seule alors ? Etant pédiatre, j’imaginais dans quel état elle devait se trouver. Tous les tuyaux, les fils qui la reliaient à une machine. Je me demandais si Aymeric était près à voir ce genre de choses. Etais – je prête moi à le voir ? C’était une chose de soigner ces petits êtres. Une autre de voir son enfant dans un tel état. Elle devait tellement souffrir. Elle avait besoin de nous ou du moins, de l’un de nous. La place de mon mari était auprès de son enfant, pas à mes côtés. Nous n’avions même pas choisi de prénom pour elle. Je n’en avais aucune idée même si j’avais une préférence pour Rose, le prénom de ma maman. Mais ce serait un choix tellement rapide… Un prénom demandait un minimum de réflexion. C’est quelque chose qu’elle portera toute sa vie. Il ne se choisit pas sur un coup de tête. Trois heures après l’intervention, je me réveillais enfin doucement. J’ouvrais difficilement les yeux. La première personne que je vis, c’est Aymeric. J’essayais alors de lui sourire tant bien que mal. « Tu as vu… Je t’avais dit que tout allait bien se passer. ». J’avais du mal à parler, cela me demandait beaucoup d’énergie. Mon deuxième réflexe fut de poser une de mes mains sur mon ventre. Je n’avais pas suffisamment de courage que pour regarder, soulever ma tête de l’oreiller. Je ne devais vraiment pas être belle à regarder. J’entendais toutes ces machines travailler pour moi. Je n’étais pas fière de ce que j’étais, de ce que j’étais devenue. Il était loin le temps où je pouvais porter ce dont j’avais envie. J’allais certainement rester là encore pour quelques jours. Et reprendre ma vie ne serait pas simple tout de suite… Je ne connaissais pas encore mon état. Je ne savais pas que j’étais en attente de greffe, que je pouvais décéder à n’importe quel moment au vu de mon état. Mais devais – je le savoir ? Est – ce que j’allais me battre jusqu’au bout ?

Comme je m’en doutais, elle se trouvait en couveuse. Je connaissais assez bien les médecins du service. J’étais une de leurs collègues. Je voulais que notre fille soit soignée par le meilleur en la matière. « Le Docteur Poumois doit s’en occuper. S'il le faut, fais-le appeler. Il m'en doit plein. ». Je ne parlais vraiment pas fort. Les mots sortaient de ma bouche difficilement. Je me contentais de le regarder. Cela me suffisait déjà amplement pour reprendre des forces. « Je t’aime aussi… ». Je savais que d’ici peu de temps, des larmes allaient me monter aux yeux. Je ne voulais pas qu’Aymeric reste à mes côtés. J’étais une adulte, bien capable de m’en sortir toute seule. Il fallait qu’il s’occupe d’elle, de cette toute petite fille qui n’avait rien demandé. Tout était de ma faute. Je ne faisais qu’assumer les conséquences. « Reste auprès d’elle. Je vais me débrouiller. ». J’avalais alors difficilement ma salive. « Elle a besoin de toi. Tellement besoin de toi. ». Prend sur toi, Louise. Prend sur toi. Attend encore quelques minutes, attend qu’il passe le pas de la porte. Je ne méritais pas sa présence. Il avait été trop gentil tout ce temps. J’avais mis la vie de son enfant en jeu. Je n’étais pas une bonne mère. En tout cas, je commençais très mal ! Il fallait qu’elle s’en sorte. Des études avaient prouvé que le bébé qui était attendu par les parents et qui avait du soutien quand il était en couveuse avait plus de chances de s’en sortir. Le médecin entra dans la pièce. Aymeric était encore présent. « Comment vous sentez – vous ? ». Je le regardais alors. C’était une réelle question ? Je me sentais comme à la plage dis donc. Les doigts de pied en éventail, un cocktail à la main. Non mais ! « Mal… ». Il chipotait alors à la perfusion et augmenta la dose de morphine. Au vu de mon passé, ce n’était pas forcément une bonne idée mais je ne dis rien. Si cela pouvait me soulager, que ça me soulage ! Il sortait alors. J’attrapais la main d’Aymeric. « Que t’a dit le médecin ? Je vais m’en sortir ? ». C’était des vraies questions. J’attendais de lui qu’il me dise la vérité. Je n’avais plus forcément la force de me battre. Je me sentais lâche, dépourvue de toute émotion juste avant de lui avoir demandé si j’allais m’en sortir.

De nombreuses chances de s’en sortir… Je savais que le médecin le lui avait dit pour le rassurer, pour ne pas avoir un père de plus à gérer. Un nourrisson sur deux survivait sans séquelles. La moitié, la moitié des bébés mourrait. Mais je ne voulais pas l’alarmer. Cela ne servait à rien. « D’accord. Mais appelle ce médecin. Le numéro est dans mon téléphone. ». Je parlais toujours aussi peu, aussi faiblement. Je me fatiguais, je le savais. Mais j’en profitais pendant qu’Aymeric était à mes côtés.
Aymeric ne voulait pas me laisser seule ? Je pouvais bien le comprendre. Si les rôles avaient été inversés, j’aurai laissé la petite se débrouiller. Je serai restée auprès de lui. Il compte de trop pour moi. Mais voilà, ce n’était pas le cas. Aymeric devait gérer cette situation en père de famille. Oui, nous en étions une maintenant. Je m’étais fondé une famille. J’avais perdu mes parents, mon frère était toujours en Irak. Tiens, il n’était certainement pas au courant de mon état. Ce n’était pas le moment de penser à lui. « Je serai toujours là après. Va près d’elle, elle est fragile. Je refuse qu’elle soit seule. ». J’essayais de lui sourire. L’apparence et toujours l’apparence. « Elle sentira ta présence. ». J’espérais tellement qu’il m’écoute. Il allait falloir que je me repose à nouveau. La fatigue se faisait sentir. J’étais tellement plus fatiguée que lorsque j’étais enceinte.
Je n’avais pas le moral. Le psychologique ne suivait pas. Ce n’était vraiment pas positif. Il fallait que je garde le moral, que j’y croie. Je gardais mes larmes pour moi. Je ne voulais pas que mon mari me voie comme cela. Tiens le coup, Louise. Encore quelques minutes… « Je vais attendre donc… ». Oh, l’attente pouvait prendre des heures voire des jours. Mais je ne pouvais pas rester avec cette machine des semaines. Un rein devait arriver avant une semaine. Je le savais. Je m’étais renseignée. « Ca va aller, j’en aurai un ! ».

Il l’appellerait demain. Mais on n’avait pas jusque demain. La vie de notre petite fille était en jeu. A ce stade – là, chaque minute comptait. Et il me semblait qu’Aymeric ne s’en rendait pas compte. J’avais alors un regard insistant. « Non, appelle – la maintenant. Dis – lui que c’est au sujet de ma fille. ». J’avais pris ses gardes un grand nombre de fois. Elle pouvait bien se déplacer pour moi. C’était une dame bien sympathique. Je savais que je pouvais compter sur elle. Elle était la meilleure dans son domaine.
Je l’envoyais alors voir notre fille. Mais il voulait rester à mes côtés. « Je ne te le refuse pas, Aymeric. Elle a plus besoin de toi que moi… ». C’était complètement faux. J’en avais autant besoin qu’elle. Finalement, je ne savais pas à quoi elle ressemblait ni ce qu’elle avait. J’avais besoin de savoir à quel point elle était mal. Je regardais alors Aymeric. « Tu m’apporteras son dossier tantôt ? ». Oh, cela n’allait pas être facile pour lui. Mais il me semblait que légalement, nous en avions le droit.
Ce qu’il me dit ensuite me surpris. Pas que je ne l’en pensais pas capable. C’était tout lui de faire cela. Mais il fallait que l’un de nous trois tienne le coup pour les autres. Je le regardais alors. « Non, Aymeric. Je le refuse. ». Je pris alors ma respiration. J’allais lui dire tout ce dont j’avais envie. Tant pis pour les apparences pour ces quelques minutes. « Il faut que l’un de nous trois soit bien pour les autres. Comment notre fille va faire si sa maman n’est pas bien et que son père vient de subir un don d’organe ? Pensons à elle. Je ne veux pas être égoïste. Maintenant, elle est plus importante que tout. Il lui faut quelqu’un pour veiller sur elle. Je ne peux pas le faire, j’en suis incapable autant physiquement que psychologiquement. Alors, fais – le pour moi s’il – te – plaît. Il y aura bien un rein qui arrivera pour moi. On va y croire tous les deux. Mais, s’il – te – plaît, occupe – toi d’elle. Elle n’a rien demandé, elle. ». Aymeric me déposait un doux baiser sur le front. Que c’était agréable. J’aimais tellement quand il avait de tels gestes envers moi. Je lui souris alors doucement. « Oui, je fatigue… ». Je fermais alors les yeux.

Aymeric acceptait d’appeler ce médecin. Je lui souris alors. Avant de lui dire un petit merci. J’allais être rassurée que de savoir qu’elle était entourée des meilleurs. Je ne pouvais rien faire directement pour elle. Alors, j’essayais de faire ce qu’il était possible à mon niveau. C’est – à – dire, tout faire pour qu’elle soit au mieux.
« Si, j’ai besoin de toi plus que personne d’autre. Mais je pense à elle aussi, à … ». Je me rendais alors compte qu’elle n’avait pas de prénom. Nous en avions discuté un peu, oui mais sans tomber d’accord sur un en particulier. Je ne lui avais jamais parlé du prénom Rose. Etait – ce le bon moment pour le faire. Cette petite avait besoin d’un prénom. Elle ne pouvait rester comme cela, qu’on la prénomme X. « Tu aimes Rose ? ». Je parlais doucement pour ne pas trop me fatiguer. « Je me dis juste qu’elle est toute seule là – bas, dans sa couveuse. ». Une autre solution ? Appeler une autre personne, quelqu’un qui pourrait prendre le relais d’Aymeric auprès de moi ou auprès de notre fille. Seul, il éprouverait des difficultés à tout gérer. Il allait avoir besoin de faire une pause de temps à autre, de sortir prendre l’air ou boire un verre avec des amis. « Tu ne veux pas appeler Samuel ? Luka pour t’aider ? ». Samuel, c’était son collègue. Ils s’entendaient bien tous les deux. Quant à Luka, il était son demi – frère. Certes, ils ne s’aimaient pas beaucoup. Mais Aymeric devait prendre sur lui. Trouver une solution.
« Je serai toujours là, d’une façon ou d’une autre. ». Oui, je croyais en la réincarnation. Je m’étais promise d’être toujours présente pour eux d’une façon ou d’une autre. Je tournais alors ma tête vers lui afin de pouvoir voir ses yeux. « Mon cœur, je te promets que tout se passera bien. Nous allons gérer cette situation comme nous en avons géré plein. Mais il faut que l’un de nous soit présent non stop, soit le pilier de notre famille. Je ne suis pas en état de le faire même si je le veux plus que tout au monde. Tu dois prendre le relais. C’est à toi de nous gérer, de prendre des décisions. ». J’essayais de le rassurer, de le faire changer d’avis. Mais je me doutais que c’était peine perdue…

Les visites en néonatalogie se limitaient à quatre personnes de l’entourage proche. Les médecins et les infirmières ne voulaient pas voir débarquer toute la smala. Je n’étais pas prête de pouvoir y aller. Alors, autant laisser sa sœur et sa mère s’y rendre, prendre soin de ma fille. Je ne connaissais pas aussi bien ma belle – mère que ma belle – sœur. Aileen avait été auprès de moi ces deux derniers mois. Ils se relayaient avec Aymeric. Combien de fois ne m’avait elle pas accompagnée à ma dialyse. C’est qu’ils voulaient être sûrs que je m’y rende. Je ne savais d’ailleurs pas si Aymeric leur avait tout raconté… « C’est le prénom de ma maman. Enfin, c'était... Tu es sûr que ça ne te dérange pas qu’elle porte ce prénom ? ». Il était le père et avait donc aussi le choix. Un prénom ne se décidait pas sur un coup de tête. J’y pensais depuis quelques temps à vrai dire même si je ne l’avais jamais proposé à mon mari. « Oui, elles peuvent faire partie des quatre personnes maximum. Avec toi, cela fera trois. Il reste une place pour quelqu’un. ». Je ne pensais même pas à moi. Cela me paraissait impossible que je m’y rende.
Je sentais dans la voix d’Aymeric que quelque chose n’allait pas. Que se passait – il ? Je le connaissais bien même très bien. Il était mon mari. Mais je ne savais que faire pour qu’il se confie à moi. « Je ne veux pas de photo, merci. ». Bizarrement, je préférais me détacher d’elle, ne pas y penser. Je le regardais alors, changeant de sujet de conversation. « Ici, on ne se ment pas, d’accord ? On ne cache rien à l’autre. ». J’espérais tellement qu’il accepte. J’avais besoin que nous nous concentrions sur autre chose que des disputes. « Que se passe – t – il mon cœur ? Quelque chose te tracasse ? Je t’écoute, tu sais. ». Des milliers de choses pouvait le tracasser. Mais j’étais là, prête à l’écouter s’il en avait besoin. J’étais sa femme, je lui avais promis de toujours être à ses côtés. Dans cette histoire, je souffre oui. Mais il fallait penser aux proches aussi…

Aymeric se sentait dépassé ? Je pouvais bien le comprendre. Il n’était maître de rien. Rien ne dépendait de lui. Je n’aurai vraiment pas aimé être à sa place. Je n’aimais pas être dans cette situation. Qu’est – ce qui m’avait pris de vouloir garder cet enfant ? Franchement ? « Tu peux te plaindre, c’est humain. Je suis là pour ça aussi, pour t’écouter. Je suis peut – être couchée dans ce lit mais je te l’ai imposé. Alors oui, je vais t’écouter te plaindre si tu en as besoin. ». Non mais ! Il semblait avoir compris que Rose n’était pas dans un bel état. Et en effet… Je le lui avais caché jusque maintenant. Devrais – je le lui dire ? Plus de mensonge ici… Il me semble donc que je n’avais pas le choix… « Rose a une chance sur deux de survivre. Et encore, on ne sait pas dans quelles conditions. Elle peut être sourde, aveugle, paraplégique… Elle va devoir subir maintes et maintes opérations. Son entrée dans la vie n’est pas facile. ». J'avais utilisé le mot survivre parce que c'était ce qu'elle faisait là. Elle se battait avec la vie. A un moment donné, nous allions très certainement devoir faire un choix : celui de tout arrêter ou de s’acharner. Je redoutais ce moment.
Ce que me dit ensuite Aymeric me fit réfléchir. Oui, je me détachais de Rose. Je ne voulais pas trop souffrir. J’avais déjà assez souffert. Tout cela était de ma faute. Elle ne méritait certainement pas une mère comme moi. « Aymeric, il y a tellement peu de chance que je m’en sorte. Alors, je ne te parle même pas de Rose. Tout cela est de ma faute et uniquement de la mienne. Toi, bien gentil, tu es encore là à mes côtés. Je ne le mérite pas. ». Je ne lui parlais pas encore de mon détachement de ma fille. Je ne savais pas comment lui exprimer ni lui en expliquer la raison. Je ne me sentais pas prête à être maman, c’était trop tôt. Si une grossesse durait neuf mois, c’était pour une autre raison : celle de laisser à une femme le temps de se dire qu’elle deviendra mère. Et je n’avais pas eu ça. D’une façon ou d’une autre, on me l’avait enlevé. Je ravalais alors ma salive comme pour me garder une contenance.

Aymeric ne semblait pas prêt de se confier à moi. Il ne le faisait que très rarement. Je me souvenais de cette fois où nous nous étions retrouvés dans un sauna. Il m’avait alors un peu parlé de son père. Mais autant que je me souvienne, c’est la seule fois où c’était arrivé. Pourquoi ne me disait – il rien ? Etions – nous trop concentrés sur moi ? N’étais – je pas l’égoïste dans l’histoire ? « Non, elle ne mèneront peut – être à rien mais elles te feront du bien. Je suis là pour ça, aussi. Notre histoire ne se passe pas que dans un sens. Ce n’est pas toi qui est toujours là pour moi… ». Je parlais le plus calmement possible.
Il fallait que je le rassure un peu. Après la piqûre, le sparadrap comme on disait dans mon service… Je tournais alors la tête pour le regarder dans les yeux. « Oui, c’est un risque. Mais nous le savions, non ? C’était prévu… ». Cette grossesse était à risque. Combien de fois le gynécologue ne me l’avait – il pas dit… « Je te raconte uniquement la théorie. Je ne l’ai pas vue, je n’ai pas consulté son dossier. Je ne sais pas ce qu’il en est pour Rose. Peut – être qu’elle fait partie de la bonne moitié. Je ne sais pas te le dire comme cela. ». Je devais défendre mes collègues, lui expliquer la raison, le pourquoi lui avaient – ils dit qu’il y avait de fortes chances qu’elle s’en sorte. « Ils t’ont dit qu’elle avait de fortes chances de s’en sortir parce que Rose a besoin que tu sois positif. Elle le ressent. C’est une éponge. Elle ressent toutes tes émotions. A toi de tout faire pour qu’elle se sente bien. ». J’essayais de lui dire comment réagir en sa présence. Entre nous deux, le plus doué avec les enfants, c’était moi. Tout simplement parce que j’avais choisi la pédiatrie. C’était un domaine qui me passionnait. J’adorais être en contact avec de minis êtres humains comme j’aimais les appeler.
Ce que me dit Aymeric ensuite me fit pleurer. Deux petites larmes coulaient sur mes joues, chacune sur une différente. Il avait le don de trouver les bons mots. Il me parlait alors de Rose et de la distance que j’avais. « Je ne sais pas si je le regretterai. Si je suis toujours de ce monde, peut – être… ». Je le regardais alors. « Mais je ne me sens pas prête. Elle devait arriver dans trois mois. Je ne suis pas prête à être mère. Là, maintenant, ce n’est pas fait pour moi. Alors, si tu y arrives. Tant mieux. Mais moi, non… ». J’avais tellement envie de le sentir auprès de moi. C’est tout ce dont j’avais besoin là, maintenant tout de suite… « Tu ne sais pas de quoi je serai capable pour que l’on puisse être tout simplement l’un contre l’autre… ». Notre relation prenait une toute autre tournure. Peu importe comment les événements finiraient, nous étions encore plus proches.

Aymeric avait du mal à mettre des mots sur son ressenti. Peut – être allait – il comprendre les difficultés que j’avais ou celles qu’avaient ses patients. Mettre des mots sur une émotion, c’était très compliqué. Je l’écoutais alors d’une oreille attentive. « J’ai besoin de toi, oui. Mais c’est tout le temps. Je ne peux me passer de t’avoir à mes côtés. Alors, je suis là. Prête à t’écouter. ». Se dire la vérité et toute la vérité ? Il avait eu peur ces dernières heures ? Qu’il attende cette nuit et les jours suivants. Il devait s’y préparer psychologiquement. Nous perdre toutes les deux, c’était possible. Il allait peut – être devenir veuf. « Tu sais, mon cœur. Tout cela n’est pas encore terminé. Tu risques d’avoir bien pire… ». Je ne voulais pas lui mentir. Je préférai le préparer à une éventuelle rechute, à tous les problèmes possibles. J’avais le don de les attirer au plus près de moi.
« Je me doute que tu aurais préféré. Mais je comprends les médecins aussi… ». Il doutait de ses capacités à se débrouiller avec un enfant, qui plus est, le notre. Non, un bébé ne naissait pas avec une notice, un plan d’explications. Tout cela venait au feeling, au fur et à mesure. « Tu vas très bien te débrouiller. Tu te souviens de cette fois où je t’ai laissé avec mes petits patients dans la salle de jeu parce que j’avais une urgence ? Et bien, c’est pareil. Gabriel t’avait même adopté ! ». Je lui souris, pour le rassurer. S’il y avait bien quelque chose dont je ne doutais pas, c’était sa faculté à s’occuper des enfants et surtout du notre !
S’il est prêt ? « Je ne peux pas le dire à ta place… ». J’avais l’impression de jouer à la psychiatre à mon tour. Et, franchement, j’aimais plutôt ça. « Non, je ne préfère pas la voir. Je te laisse t’en occuper… ». Cette petite démarrait mal dans la vie de ma faute. Parce que ma vie avait été une déchéance. Je n’avais pas su être raisonnable lorsque je la portais. J’en payais le prix. Enfin, plutôt elle. Je ne méritais pas de la voir, de m’en occuper…
Aymeric était proche de moi comme il le pouvait. Quant à moi, je ne bougeais pas beaucoup. J’avais subi une longue opération. Et j’avais encore énormément de douleurs. Je lui souris alors, profitant de cet instant.

Lui promettre de ne pas baisser les bras ? J’étais une battante certes. Mais là, pour le coup, je subissais plus qu’autre chose. Pour moi, cette situation était une fatalité. J’attendais simplement que ça passe. Je ne pensais pas au lendemain, je n’étais pas sûre d’en avoir un… « Je ne peux pas te le promettre. Ce serait te mentir… ». Je n’avais déjà pas suivi mon traitement à la base. Alors, le suivre maintenant. Vous allez me dire, j’allais bien être obligée. J’étais couchée dans un lit, incapable de marcher… « Mais je vais essayer quand je le pourrais, quand j’en aurais la force. ». La douleur était constante même si j’étais sous morphine. Une machine travaillait pour mes reins. La fatigue se faisait ressentir. Je n’aimais pas être dans cette situation, je détestais même…
« Un jour ou l’autre… Si je viens à décéder, je t’autorise, je veux que tu trouves quelqu’un d’autre. Tu as le droit d’être heureux, tu le mérites. Tu feras ça pour moi, hein ? Tu te trouveras quelqu’un ? Une mère pour Rose ? ». Je lui souris alors même si au fond de moi, j’en pleurais. Les imaginer tous les deux sans moi, ça me rendait malade. Savoir qu’une autre femme serait proche d’Aymeric, le prendrait dans ses bras, … Je ne pensais pas égoïstement. Il allait avoir besoin de soutien, d’une autre personne pour prendre soin de lui. Si j’en étais plus capable, que quelqu’un le fasse à ma place.
Je m’endormais alors sans trop de difficultés, la main d’Aymeric dans la mienne. Quelques heures plus tard, en pleine nuit, je me réveillais d’un coup. J’avais mal à m’en plier en deux. C’était horrible comme douleur. J’appuyais alors sur le bouton pour appeler l’infirmier. Des larmes coulaient sur mes joues. Mais je ne pouvais me retenir de pousser un cri de douleur. Aymeric allait être réveillé mais je ne pouvais faire autrement.