Cela faisait déjà des années que notre relation avait changée, avec Rosalie. Mettre une raison sur ça, des mots sur l'évolution de notre relation, c'était difficile. Est-ce que c'était de ma faute ? De nos parents ? Du corps enseignant ? Est-ce que c'était un tout ? J'ignorais ce qui nous avait poussée à en arriver là. Ce qui était sûr et certain, c'était que je m'inquiétais pour elle. Depuis toujours et pour toujours. En y réfléchissant bien, je crois que notre plus gros problème réside dans le fait d'un manque de communication. Rosalie ne me dira jamais ce qui n'allait pas, si elle me reprochait quelque chose et moi eh bien... Je crois que j'avais un peu cessé de vouloir à tout prix savoir. Elle souhaitait dérailler ? Qu'elle le fasse. J'avais eu un espoir lorsqu'elle était sortie avec Matt, ce joueur de football, puis ce crétin l'avait lâchée. Plutôt lâchement, si j'en croyais ce que j'avais entendu. Encore une chose qu'elle avait jugée bon de garder pour elle. Ou en tout cas, de ne pas m'en parler, à moi. Je ne pouvais pas la forcer à se confier à moi. Lorsque nous étions enfants, je croyais sincèrement que notre lien de jumelle serait toujours un lien fort, infaillible et que rien ni personne ne pourrait jamais nous séparer. La vie m'avait prouvé le contraire en nous éloignant l'une de l'autre, petit à petit, sans vraiment crier gare.

Ce jour-là, je me rendis chez nos parents. J'allais les voir assez régulièrement. Je devais avouer que j'en profitais à chaque fois pour essayer de savoir ce qu'il se passait dans la vie de Rosalie, qui n'était d'ailleurs pas toujours présente chez eux malgré qu'elle y vivait encore. Je sais, ça peut paraître fourbe. Mais je n'avais pas d'autres solutions que celle-ci si je voulais savoir un minimum comment ça se passait pour ma jumelle. Je faisais avec les moyens du bord, même si ce n'était pas cool ou conventionnel. Je frappai puis pénétrai dans la maison.

« Coucou tout le monde ! »

C'était avec un grand sourire aux lèvres que j'embrassai ma mère. Je cherchai du regard mon père alors elle m'informa qu'il était allé faire quelques courses. Il souhaitait bricoler et pour cela, il avait besoin d'un peu de matériel. « Rosalie est dans sa chambre par contre, si tu veux lui parler... », ajouta t-elle. Je souris doucement, haussant légèrement les épaules. Nous nous parlions parfois mais puisque plus rien n'était comme avant, c'était difficile pour moi d'aller naturellement vers elle. Le regard de ma mère me signifiait Aller, fais un effort de ton côté aussi. Vas lui parler. Je soupirai en levant les yeux au plafond. Nous n'avions pas besoin de parler pour que je comprenne où elle voulait en venir. Je finis par céder et me rendis à la chambre de Rosalie. Je frappai délicatement contre la porte et l'entrouvrit.

« Salut Rosie. Je peux entrer ? »

Il valait mieux demander la permission, juste histoire d'être sûre que la chambre n'était pas minée, que je n'allais pas me faire incendier pour avoir oser franchir le seuil de la pièce.

Ma vie était un bordel total. On n'allait pas se le cacher : je n'allais presque pas en cours, je travaillais au sein d'une boite de nuit qui me faisait entrer à n'importe quelle heure et je vivais encore chez mes parents. Ces derniers n'étaient pas d'accord avec mes choix de vie. Ils n'avaient pas non plus aimé que je parte claquer mes sous dans un tour du monde. Surtout que j'avais passé plus de temps à faire la fête qu'à découvrir les pays et les cultures que j'avais traversées. Je ne vivais plus en phase avec eux. Ni même avec ma sœur jumelle qui était celle que tout le monde préférait. Celle qui avait toujours été dans les bonnes grâces dans les parents et qui était entré dans le moule qu'on lui avait concocté. Ce n'est pas que je n'aimais pas ma sœur, mais simplement que l'on évoluait plus dans le même monde, et ce, depuis un moment. On se parlait de temps en temps, mais ça s'arrêtait là. Je ne me confiais pas à elle, préférant largement l'avis de mes copines. Après tout, ces dernières n'étaient pas dans le jugement avec moi. Miléna, ou la voie de la sagesse incarnée, avait toujours un truc à redire. À croire qu'en plus d'être miss parfaite, elle était celle qui savait tout. Il n'y avait rien de plus énervant. Mais après tout, elle était sur le même modèle que mes parents. Eux aussi trouvait quelque chose à redire sur ce que faisait ou encore sur ce que je pouvais penser. Nous ne parlerons pas non plus de mes fréquentations qui leur déplaisaient particulièrement.

Ce jour-là, j'avais décidé de rester dans ma tanière. Ce n'est pas moi qui le disais, mais les parents qui avaient surnommé ma chambre ainsi. Après m'être levé et être mangé un bout dans la cuisine, j'étais retournée dans ma chambre. La télé en fond sonore, je m'étais installée sur le rebord de ma fenêtre que j'avais préalablement ouverte. J'avais attrapé mon paquet de cigarette et en avait sorti une. Ma mère n'aimait pas que je fume dans la chambre, mais je n'avais pas le droit non plus de fumer dans le salon. C'est à ce moment-là que j'avais entendu la voix de Miléna dans le salon. Elle passait souvent à la maison, mais j'étais rarement là. Pas que je ne voulais pas la voir, mais on n'avait pas grand à se dire. Enfin, c'est du moins ce que je pensais. J'entendis ma mère lui dire que j'étais dans ma chambre. Je soupirais en levant les yeux au ciel. Je ne pouvais donc jamais être tranquille. Je tirais sur ma cigarette lorsque j'entendis toquer à al porte. Je reconnus la voix de Miléna. Je répondis simplement :

« Ça dépend, c'est maman qui t'envoie ? Et si oui, elle veut quoi ? »

Je savais que je pouvais être une véritable attardée quand je m'y mettais, mais je m'en moquais royalement. En effet, je n'avais pas envie que l'on me dise des vérités qui fâchent. Je ne voulais pas non plus que l'on entre dans mon monde. Parce que oui, je considérais que ma sœur et mes parents n'y avaient pas vraiment leur place. Je repris une taffe sur ma cigarette, tout en attendant la réponse de Miléna. J'espérais simplement qu'elle ne viendrait me saouler à faire la sœur moralisatrice pour entrer davantage dans les bonnes grâces des parents.

Ma relation avec ma jumelle m'agaçait. Je ne le montrais à personne mais elle me manquait. Nos fous-rire, nos plaisanteries, nos complots pour embêter le monde, nos jeux d'enfants, nos moments de confidences... Tout de notre enfance me manquait. Nous avions une complicité digne des jumelles. Quand est-ce que tout cela avait changé au juste ? Quand est-ce que tout s'était dégradé entre nous ? J'avais beau être hypermnésique et donc me souvenir de tout ce que j'avais vécu, j'étais incapable de mettre un moment ou un évènement précis qui expliquait ou justifiait le début de la fin de notre complicité.

Je ne cessais pas de me demander si elle avait éprouvé de la jalousie, de la rancoeur, de la colère envers moi et pourquoi. Je ne cessais plus de me demander ce que j'avais fait pour mériter son mépris, son éloignement. Elle croyait quoi ? Que tout avait toujours été rose pour moi ? Que rien ne m'atteignait ? Moi aussi j'avais eu mon lot de problèmes, les remarques désobligeantes. J'avais eu droit à la pression pour toujours rester sur la haute marche du podium. J'avais vécu une adolescence durant laquelle je pensais que je n'avais pas le droit à l'erreur. S'était-elle seulement poser la question sur la façon dont moi, je vivais les choses ? Elle n'était pas la seule à avoir souffert de certains évènements de nos vies. Mais ça, Rosalie s'en fichait. Elle était devenue égoïste et ne pensait qu'au mal qu'elle, elle avait pu ressentir.

Alors oui, je savais que les parents espéraient que j'arrange la situation, que je fasse en sorte que l'on retrouve notre Rosalie d'avant. Mais franchement, Rosalie n'avait pas envie de ça sinon, elle ferait des efforts, non ? Et puis, pourquoi ce serait à moi de faire sans arrêt les premiers pas ? Je soupirais. En voyant le regard de ma mère et en sachant que ça la blesserait que je refuse d'aller la voir dans sa chambre, je cédai. Si Rosalie croyait que c'était si simple que ça de vivre ma vie, elle se mettait le doigt dans l'oeil.

Arrivée devant sa chambre, j'avais frappé délicatement à la porte et j'avais demandé si je pouvais entrer. Ne pas la brusquer, ne pas provoquer l'ouverture de sa carapace, ne pas la braquer. Je commençais à en avoir assez d'être celle qui devait faire sans cesse attention à ses dires. Rosalie ne se gênait pas pour dire ce qu'elle pensait, elle. « Ça dépend, c'est maman qui t'envoie ? Et si oui, elle veut quoi ? » Sérieusement ? Je soupirai une nouvelle fois. Ce qu'elle pouvait se montrer gamine parfois.

« Elle voudrait juste qu'on parle un peu, c'est tout. »

Je n'aimais pas trop l'odeur de cigarette mais au moins, elle avait la fenêtre ouverte donc c'était déjà ça. Je ne ferais aucun commentaire à ce sujet de toute façon, ce serait malvenu. Et puis, elle était bien libre de se pourrir la santé si elle le désirait. Elle était majeure et vaccinée après tout.

« Tu vas bien ? »

Je ne savais même pas par où commencer. Vous imaginez ? C'était ma jumelle, j'étais sensé la connaître par coeur, et pourtant, je ne savais même plus comment lui parler, ni quel sujet je pouvais ou non aborder avec elle.

Avec Miléna, on avait pris deux chemins différents. Et même si c'est moi qui, à un moment de ma vie, avais voulu me différencier d'elle, je n'aurais jamais pensé que ça puisse avoir autant de conséquences. En vérité, je me voyais comme le vilain petit canard de la famille. Celle qui ne fait rien dans les règles. Celle qui veut toujours faire enrager le monde. Mais je n'avais pas envie d'entrer dans un moule. Faire des études ne m'intéressait pas. Tout comme le fait d'avoir une vie bien rangée. Et nous n'allons pas nous le cacher, le fait que Matt soit parti sans rien dire et sans me donner de nouvelles, n'avait pas arrangé les choses. D'ailleurs, je ne parlais que rarement de lui. Cela faisait trois ans que je vivais dans le déni et que je ne voulais pas assumer le fait que j'étais encore amoureuse de lui. Jouer les fortes et enchaîner les conquêtes : voilà ce qu'était mon crédo aujourd'hui. Mais en vrai, aucun homme ne trouvait vraiment grâce à mes yeux. Mes copines avaient essayé de m'ouvrir à multiples reprises, mais je n'avais pas voulu les écouter. Pour ce qui était de Miléna, je ne lui avais jamais vraiment parlé de ça. Si c'était pour qu'elle me juge, c'était hors de question.

Bien que l'on se parlait beaucoup moins ces derniers temps, je savais au fond de moi que j'avais besoin d'elle. Après tout, c'était ma sœur et elle me connaissait par cœur, même si nous avions pris des chemins différents. Mais j'avais trop peur de son jugement sur mes actions. Je savais qu'elle ne serait pas d'accord sur tout et je ne pouvais pas lui en vouloir. Mais juste qu'elle m'accepte comme je suis. Parce qu'après tout, je ne suis pas une mauvaise personne. Elle entra finalement dans ma chambre m'informant que ma mère voulait qu'on discute. Elle avait toujours le don de se mêler de ce qui ne la regardait pas. Mais tant pis, j'allais faire un effort. Je passerais encore pour une adolescente attardée, si je ne le faisais pas. Je tirais une autre taff sur ma cigarette alors que Miléna me demandait comment j'allais. Je reposais mon regard sur elle :

« Oui ça va. » Je marquais une brève pause. Et j'aurais pu m'arrêter là et la laisser galérer. Ce n'était pas l'envie qui m'en manquait. Mais je continuais : « Et toi ? » C'était bien l'une des premières fois depuis un moment que je ne l'envoyais sur les roses. j'ajoutais ensuite : « Raconte-moi un peu ta vie : que se passe-t-il de palpitant ? »

La faire parler d'elle était un moyen pour moi pour éviter que l'on parle de moi. Après tout, je n'avais pas envie d'épiloguer sur Matt, sur mon départ puis sur mon retour ou encore sur mon état d'esprit du moment. Je voulais garder cette carapace intacte et ne pas parler de moi était la meilleure façon de le faire. Avec un peu de chance, j'arriverai facilement à rebondir sur les dires de Miléna pour qu'on continue de parler. Au moins, on ne pouvait pas dire que je ne m'intéressais pas à elle. Le pire, dans tout ça, c'est que j'étais vraiment sincère.