| ▬ Caractère: « Afin de mieux vous satisfaire, merci de compléter notre questionnaire en partant ». Encore ces questions ridicules qui finiront dans une poubelle à peine posées dans l'urne. Je regarde le prospectus entre mes mains. Je le fourre dans mon sac en entrant dans ma limousine, garée en double file. J'adore Londres. Si je n'y étais pas née, je pense que j'aurais tout de même fini par y vivre. Cette ville est magique, animée, vivante ! Il y a tellement à voir, tellement à acheter... Et quand on a l'argent pour... J'agrippe le prospectus dans mon sac. « Comment vous décririez-vous ? Plutôt introvertie ou extravertie ? » Je dirai plutôt... extravertie. Le genre qui aime qu'on la remarque, qui aime la foule et qui se met en avant sans trop de problèmes. Oui, c'est tout à fait moi. On ne remarque que moi, généralement. Et j'adore ça. « Quel est votre budget shopping mensuel ? 200-500 livres, 500-1000 livres, illimité ? » Illimité bien sûr ! Avec la fortune des Hope, j'ai de quoi me payer plusieurs gardes-robes chez de grands créateurs. C'est le pouvoir qui domine cette famille, c'est la richesse qui nous unit. On est un peu étranges vu de l'extérieur, je suppose, mais c'est une force. « Quel type d'articles avez-vous acheté et achetez-vous souvent ce genre de produits ? » J'ai acheté à peu près cinq paires de chaussures, une écharpe en soie, un collier de chez Tiffany's, et une bonne demie-douzaine d'ensembles de lingerie. Prendre soin de soi, c'est prendre soin des autres. Comprenez-moi, n'importe qui me regarde et se dit « Elle est belle et naturelle, quelle classe ». Et je me dis qu'en un sens, j'inspire les femmes que je croise. Pour les hommes c'est différent. La lingerie, c'est important à mes yeux. J'aime être désirée, désirable et sexy. Oui, ça se recoupe, mais bon. Les hommes sont tellement excitants quand ils essaient de nous séduire, nous les femmes. S'offrir un peu de bon temps n'est pas un drame non ? Après, j'avoue, c'est peut-être un péché mignon chez moi. Retenez le mot « péché », il me caractérise. Je suis l'allégorie de la luxure. « Avez-vous du mal à vous décider, généralement ? » Oh non. Les prises de décision sont des prises de pouvoirs. Soit on en a, soit on s'écrase. C'est comme ça qu'on le dit et qu'on le vit dans la famille, après tout ! « Avez-vous apprécié ce moment en compagnie de notre personnel ? » Si je dois répondre très sérieusement... Je froisse le questionnaire et le jette par la fenêtre. N'importe quoi, cette paperasse.
▬ Histoire:La voiture passe dans le quartier où j'ai vu le jour. C'est une requête que j'ai demandé à Harry, mon chauffeur. J'aime bien passer vers là, dans les quartiers un peu plus pauvres de Londres, car il y a de la vie, de la joie même chez les plus pauvres. Chez nous, on devient guindés. Et dire que j'aurais du faire partie de ce monde-là. Je suis née le 9 Mai 1994, dans un petit hôpital pas très loin de là où nous roulons. Ma mère... je n'en sais rien. Peut-être était-elle adolescente, peut-être était-elle déjà mère... Je n'en ai jamais rien su. Et même si on me le proposait, je ne voudrais pas en savoir plus. Si ça se trouve, mon père est un délinquant, un meurtrier... Que sais-je ! Quoi qu'il en soit, je suis née dans cet hôpital, et on m'a directement transférée à l'orphelinat de East London. Je ne m'en souviens pas non plus, vu que je n'y ai passé que quelques semaines. Oui... Je regarde les arbres défiler, nostalgique... Oui, j'ai été ramenée dans le manoir de mes parents alors que je n'étais encore qu'un bébé. Archibald Hope et Marianne Lancaster, mes parents, se sont mariés le 28 Février 1993. Un couple modèle, uni face aux paparazzis. Il faut dire qu'être directeur général de Hope Industries, c'est un sacré boulot. J'ai passé mon enfance à être choyée, et préparée par ma mère pour devenir une ambassadrice de la marque. Galas, dîners de charité, bals et autres festivités... J'avais des robes de princesse dès mon plus jeune âge, et bien que ça paraisse futile, ma mère a fait en sorte de m'apprendre le grand secret des femmes Hope : fais en sorte d'être belle et un peu bête au premier abord, sois une femme de pouvoir avec un grand degré de manipulation. J'ai donc fait la belle, encore et encore. Jusqu'au jour où je suis devenue une belle jeune femme, et mes cousins de beaux jeunes hommes. J'aimais qu'on me regarde, dans mes belles tenues. Et on a commencé à me charmer, lentement mais sûrement. Et ainsi a commencé la descente aux enfers.
J'arrive au manoir, il n'y a personne aujourd'hui. Je flâne dans les couloirs, en regardant les photos de famille. Ils sont tous là. Je les fixe, les uns après les autres.
Jared a toujours été mon cousin préféré. Attentionné, pas chiant comme Davy ou coincé comme Adrian... Il était là pour moi. Je lui prêtais de plus en plus d'attention, lui parlant de mes déboires dans mon école privée pour filles. Il avait cette façon de m'écouter, tellement... charmante. Et on parlait des heures et des heures. Et un jour, j'ai senti une sensation bizarre au fond de mon ventre. Une sorte de bourdonnement, de chaleur... Quand il me regardait, je rougissais. Il faut dire que j'avais changé. Mes seins avaient poussés, mes hanches s'étaient élargies, et il n'osait plus trop me toucher. Mais j'en avais envie. Un jour de printemps, nos mains se croisèrent, et il y eu un blanc. Et la semaine plus tard, ce fut sa main qui toucha ma joue. De fil en aiguille, nos mains, nos lèvres puis nos corps se mêlèrent en des instants d'extase. Jared... J'effleure la photo du bout des doigts. Le bonheur fut de courte durée cependant. Alors que nous passions l'après-midi seuls dans la chambre de Jared, la bonne nous surprit l'un contre l'autre, endormis et nus. Elle alerta nos parents, ce qui eut l'effet d'une bombe dans la famille. Mon père et le sien se réunirent et décidèrent communément de nous séparer, après l'avoir annoncé à toute la famille. Non seulement j'avais perdu l'amour de ma vie, mais en plus j'étais devenue le mouton noir d'une organisation surpuissante. Ils se liguèrent contre nous, et bien que l'amour de mes parents me sauva de nombreuses fois de leur méchanceté, j'en ai énormément souffert. Quelques mois après notre séparation, lasse de toute cette tension, j'ai avalé une quantité énorme de médicaments.
Je marche vers les escaliers et me dirige vers ma chambre. Mon antre. Là où tout a failli se finir. Je m'asseois sur le lit.
J'avais tout prévu. Les médicaments, la photo de Jared près de moi, tout. Sauf la femme de ménage. Décidément, ce personnel de maison... Mes parents n'auraient rien remarqué, sans elle. Ma mère était occupée, une fois de plus, à préparer un quelconque gala de charité, et mon père gérait l'entreprise familiale au téléphone. Je ne me souviens pas vraiment d'autre chose que des cris et de l'ambulance. J'ai échappé de près à la mort, et à vrai dire, je m'en fous. On m'a séparé de Jared, et c'était bien trop dur à supporter. Nous avons passé des mois à ne plus pouvoir être dans la même pièce, jusqu'à ce qu'il disparaisse. L'héritier de la fortune familiale qui disparaît. Magnifique. Et mon cœur s'est lui aussi envolé. Fini, cet attachement inexplicable, fini toute cette embrouille. Je veux autre chose.
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