Cela faisait quelques mois que j'errais dans les rues de Toronto. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même. Et quand je faisais la rétrospective de ma vie, je n'avais que connu la souffrance et la violence. Je n'avais confiance en personne, encore moins aux hommes. Après tout, ce sont eux qui m'avaient infligé le plus de choses, sans que je puisse dire ou faire quoi que ce soit. À l'heure actuelle, je n'avais plus aucun toit sur la tête, ni d'argent. Je n'avais plus que mes yeux pour pleurer sur le triste sort qui 'était réservé. Je dormais dans la rue. J'avais peur. Après tout, une fois que les lumières sont éteintes tout est possible. C'est un autre monde qui s'ouvrait. Un monde auquel je n'avais pas l'impression d'appartenir. Après tout, les gens passaient à côté de moi sans vraiment me voir. Sans que l'on aperçoive ma souffrance et mon désespoir. J'avais souvent pensé à en finir avec la vie. Après tout, rien ne me tenait dans ce monde. Je ne savais pas si un jour tout cela pouvait s'arranger. J'en doutais fort. Et je n'avais plus envie de croire à rien. Lorsque j'étais strip-teaseuse, je n'aimais pas ce que je faisais, mais j'avais un toit. Là, j'étais tombée tellement bas que rien ne me permettrait de remonter la pente.

Ce soir-là, comme tous ceux qui se ressemblaient ces derniers temps, je cherchais un rail de coke. J'avais besoin de cette dose. Pour oublier mes problèmes. Mon passé. Mais aussi la personne que j'étais. Parfois, je me disais que faire une overdose ne me ferait pas de mal. Ça me permettrait de rejoindre un autre monde. Un monde meilleur, sans violence et sans souffrance. Je doutais que cela soit encore possible, mais je savais qu'en partant de ce monde, je ne souffrirais plus. Et je ne manquerai à personne. C'était ça, certainement le plus triste : savoir que personne ne pleurerait mon départ. J'eus un léger soupire et je sentais les larmes montées. Mais il ne fallait pas que je pleure. Je devais déjà avoir l'air assez pathétique comme ça. Je tournais dans une rue sombre. C'est à cet endroit que je trouvais la personne qui me fournissait gratuitement. Je n'avais pas vraiment envie de savoir avec quoi était coupé la coke. Ce n'était pas quelque chose qui m'intéressait, bien au contraire. Tout ce que je retenais, c'est que ça allait être gratuit. Mais à peine avais-je tourné dans cette ruelle, que j'entendis une voix derrière moi. Je ne la connaissais que trop bien, pour avoir côtoyé le même patron. « Eh, Alba ! Tu croyais vraiment qu'on ne te retrouverait pas » Je ne répondis pas, mais accéléra le pas. Je n'avais pas besoin de savoir qui c'était. Il s'agissait tout simplement d'un des hommes de main de l'homme qui m'avait recruté pour faire plaisir à ses clients. Je n'avais jamais connu son nom, mais je savais qu'il était sous pitié. Il me rattrapa en quelques secondes et me plaqua contre le mur. « T'inquiètes, tu sentiras rien ! » Je le vis sortir un couteau et me le planter dans le ventre entre la hanche et les côtes. Il le retira d'un coup et partit d'un coup. La douleur me fit vaciller et j'atterris par terre, le dos contre le mur. Je mis ma main au niveau de la plaie et posa le regard dessus. Elle était maculée de sang. Des larmes coulèrent le long de mon visage, à cause de la douleur. C'était vraiment comme cela que j'allais finir ?

J'avais terminé tard ma journée de travail. Être flic n'était pas de tout repos et ce n'était pas la première - ni la dernière - fois que je rentrais tard, que je faisais des heures supplémentaires. Quand on aime le travail que l'on fait, on met tout en oeuvre pour l'exécuter correctement. Mon ex-femme n'avait d'ailleurs plus supporté ces nuits où je rentrais tard et ces matins où je partais tôt...
J'étais sur un dossier, une série de cambriolages qui - pour le moment - n'avait fait aucune victime. Seulement, plus le temps passait et plus je me disais qu'un jour ou l'autre, ça allait mal tourner. Que ce soit dans une banque ou une bijouterie, une erreur serait commise et là, il n'y aura plus de retour en arrière possible. Ces gars étaient bons, ils étaient organisés et ne tiraient jamais sur personne. Mais combien de temps encore avant que ça n'arrive ? Combien de temps encore avant qu'un type joue les héros et se fasse tirer dessus ? Pour éviter cela, il fallait coffrer ces cambrioleurs. Avant qu'il ne soit trop tard. Je doutais que l'on puisse rendre le butin aux propriétaires mais arrêter les cambrioleurs serait déjà une bonne chose.

Je m'étais arrêté dans un bar pour boire une bière. Mon service était terminé alors je pouvais me le permettre. Après avoir discuté avec quelques collègues, je quittai le bar. J'étais à pieds pour rentrer chez moi quand j'entendis du bruit dans une ruelle. Je fronçai les sourcils et me dirigeai vers les bruits. J'eus juste le temps de voir un type poignarder une jeune femme et s'enfuir. Mon instinct de flic me criait de lui courir après mais mon instinct de protection me disait de m'arrêter pour essayer de lui sauver la vie. Je me précipitai vers elle et m'accroupis à ces côtés.

« Vous inquiétez pas, ça va aller. Restez avec moi. »

Ma voix se voulait douce et rassurante. Je retirai ma veste et mon pull. J'utilisai ce dernier pour le poser sur la plaie de la demoiselle. J'appuyai d'une main et sortis mon téléphone pour appeler les secours. Je me présentai en tant que l'inspecteur Connor, donnai mon matricule, expliquai ce que j'avais vu, où nous étions, bref, tout ce qu'il était coutume de donner comme informations.

« Les secours arrivent. Vous pouvez me dire comment vous vous appelez ? »

Histoire de la garder consciente, bien présente avec moi, je lui parlais, lui posais des questions, l'obligeant à rester attentive à ce qu'il se passait. Je continuais dans le même temps d'exercer une pression sur la plaie pour éviter qu'elle ne se vide de son sang. On pouvait déjà entendre les sirènes des secours qui devaient sans doute conduire à toute allure dans les rues de Toronto...

En vérité, lorsque je faisais la rétrospective de ma vie, je n'avais jamais vraiment eu de chances. Quand on passe de foyer en foyer et que l'on se trouve toute seule, on fait souvent les mauvais choix, sans vraiment penser aux conséquences. Et puis, nous n'allons pas nous le cacher, je n'avais pas vraiment eu les armes pour me défendre. Dans une famille aussi dysfonctionnelle, il était difficile de trouver sa place et de savoir ce qui était bien, de ce qui ne l'était pas. Les années en foyer n'avaient pas vraiment arrangé les choses. Parfois, certains en ressortent grandi, d'autres comme moi encore plus paumée que ce qu'ils devraient être. Néanmoins, je n'aurais jamais cru que j'allais finir ma vie dans une ruelle, à cause d'un coup de couteau. Je ne sais pas combien de minutes, il s'était passé, mais j'entendis un homme me parler. Encore un qui voulait certainement jouer les héros et qui allait me demander quelque chose en échange. Parce que finalement, toute ma vie a été ainsi. On croit tomber sur des personnes gentilles, mais au final ce n'est pas le cas. Je n'eus même pas la force de lui demander de partir. J'entendis simplement qu'apparemment, il était policier. Je ne venais pas d'un milieu où on appréciait ce genre de personne. Et je ne sais pas si je devais avoir peur de lui ou au contraire vraiment l'apprécier. De toutes façons, ce n'est pas comme si j'étais en position de faire quoi que ce soit. Il maintenait son pull sur la plaie et me demanda comment je m'appellais :

« Alba...»

Question de protection. Et puis, s'il était flic, il finirait certainement par découvrir qu'au final mon vrai prénom était Victoria. Et ce n'est pas comment si je lui avais menti : mon deuxième prénom était vraiment Alba. Bien que j'entende les sirènes à travers la ville, j'avais l'impression qu'elles étaient loin. Ou c'est peut-être moi qui commençais à partir dans un autre monde. Sans parler du fait que j'étais également parcouru de frissons. Pourtant, il ne me semblait pas qu'il faisait aussi froid dehors. Je réussis tout de même à articuler :

« J'ai froid...»

Puis je fermais doucement les yeux. Je n'arrivais plus à tenir et je ne savais même pas si j'en avais envie. Peut-être que les ambulances étaient loin. Peut-être qu'elles n'étaient qu'à quelques mètres. Je verrai bien si un nouveau jour se lèvera le lendemain ou pas.