- Un secret inavoué -
10 septembre 2002Ce matin-là, elle s'est précipitée à la pharmacie. La pharmacienne l'a dévisagée mais n'a pas osé poser de questions. L'adolescente ressort déjà, presque en courant, tête baissée. Elle espère. Elle espère si fort qu'elle se trompe. Qu'elle a tord de s'en faire si vite... Elle rentre à la maison au pas de course, dit à peine bonjour à ses parents et s'engouffre dans la salle de bain.
Vingt minutes plus tardSes mains tremblent à n'en plus pouvoir. Son corps, parcouru de long sanglot, se courbe à mesure que son esprit se rend compte de l'horrible réalité. Elle replie ses doigts sur le test de grossesse qu'elle tient entre les mains et le serre fort, fort, à vouloir le briser. Ce n'est pas possible... Pas possible qu'elle soit enceinte alors qu'elle va sur son 18e anniversaire. Pas possible qu'elle soit enceinte alors qu'elle tente toujours de tout faire comme il faut. Elle contracte d'avantage ses poings sur le petit objet.... Puis, d'un geste vif, le lance de toute ses forces contre le miroir. Le test explose en trois parties, le miroir se fissure. Les larmes glissent sans retenue sur son visage alors qu'elle se laisse glisser contre le carrelage. Elle ramène ses genoux sous son menton d'adolescente et pleure longtemps, et longtemps encore...
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10 septembre 2002«
Ma chérie, qu'est-ce que tu fais là-dedans ? Il est l'heure de manger. On t'attend pour le déjeuner ! Dépêches-toi ! » Erin sursaute. La voix de son père l'a sortie de son espèce de léthargie. Elle essuie ses joues, et exprime d'une voix tremblante et faible : «
J'arrive, commencez seulement sans moi ! » Son père frappe gentiment contre la porte, inquiet. «
Qu'est-ce qui se passe ? Laisses-moi entrer ! Tu n'es pas bien ? » Elle se relève sans répondre, encore secouée de petits tremblements. Son reflet lui fait peur. Ses yeux verts sont gonflés et rouges, ses lèvres gercées à force d'étouffer ses sanglots et sa peau livide. Elle ne peut décidément pas sortir comme ça de la salle de bain. «
Je... J'arrive ! Ne t'inquiète pas ! » réussit-elle à prononcer d'une voix presque normale. Elle s'empare de sa trousse de maquillage et essaie, tant bien que mal, de se redonner un aspect plus ou moins humain. Elle ramasse les débris du test de grossesse, déchire l'emballage en carton, se débrouille pour cacher tout ça et sort de la salle de bain.
Quand elle entre dans la salle à manger, son frère et ses parents la dévisagent. Inquiets, attendent une éventuelle explication. Erin s'efforce d'esquisser un joli sourire. «
Mhh, ça sent bon ici, qu'est-ce qu'on mange ? »
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11 novembre 2002«
À combien de semaine de grossesse êtes-vous, Mademoiselle Barton ? » «
Environ 8 semaines, je crois.... Je n'en sais pas grand chose honnêtement... Dites-moi qu'il est encore possible de faire quelque chose !? » Le médecin lui fait un petit sourire forcé. Il se sent mal pour l'adolescente qui lui fait face. «
Nous pouvons jusqu'à la 12e semaine. Êtes-vous sûre de vouloir interrompre votre grossesse ? Vous n'allez pas le regretter ? » Elle secoue la tête. Elle est terrifiée mais sûre de son choix. Elle aura sa famille, un jour. Elle aura son « ils eurent beaucoup d'enfants et vécurent heureux pour toujours ». Mais tout ça, ça ne peut pas commencer maintenant ! Elle n'est pas prête, vient de se faire larguer par le père du petit être qui grandit en elle et.... Elle n'est pas capable d'assumer tout ça maintenant..... «
Bien. Nous allons procéder par méthode d'aspiration. C'est une petite opération qui ne dure vraiment pas longtemps, mais qui nécessite tout de même une anesthésie générale. Après l'opération, vous serez gardée quelques heures en observation pour contrôle. » Elle le regarde, les yeux écarquillés... Elle n'en revient pas de devoir prendre une décision pareille.... «
Je vais dire à ma secrétaire de fixer rendez-vous pour la semaine prochaine, d'accord ? » Elle acquiesce.
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18 novembre 2002Ses yeux s'entrouvrent doucement. Elle est faible et sent une douleur dans son bas ventre. Elle ne se rend pas compte de où elle se trouve. Elle regarde le plafond blanc, le néon allogène qui donne une luminosité morbide à la pièce. Elle essaie de se remémorer ce qu'il se passe. Et puis soudain, elle est consciente. Elle se souvient ce qu'elle fait là, pourquoi elle a si mal. Elle tente de se redresser sur son lit d'hôpital et regarde la pièce. Un grand panneau lumineux lui indique qu'elle se trouve en salle de réveil. Elle panique, ne voit personne, se sent.... vide. Elle ferme les yeux, les larmes lui montent. Le souvenir de l'échographie lui revient. Ce petit être qui était là.... Elle touche son ventre et soudain, éclate en sanglot. Elle ne réalise pas encore vraiment, mais elle s'est séparée d'un petit être qui était déjà trop cher. Elle ne s'en rendait pas compte, mais la douleur qu'elle ressent maintenant le lui fait bien comprendre.... Les larmes ruissellent sur son visage. Elle repose la tête sur l'oreiller et laisse aller sa tristesse. Elle n'a beau avoir que 17 ans, elle se rend bien compte qu'elle est en deuil... Et que cette tristesse, c'est son secret. Son plus grand secret.
- Un mariage détruit -
13 juillet 2007«
Wouah... tu es resplendissante ! » Erin se retourne et sourit à son aîné. Sa grande robe blanche la suit dans un froissement de tissu. « Alors, c'est le grand jour ? Comment tu te sens ? » Elle se regarde dans le miroir depuis un moment sans vraiment se reconnaître. Elle ressemble à l'une de ces princesses de conte de fées. Magnifique corset brodé de perle, traîne satinée qui suit la forme de son corps et s'étend derrière elle telle une mer de nuage... Elle regarde son frangin avec un sourire un peu mélancolique et hausse les épaules. «
Je n'en sais trop rien... Je ne réalise pas, je crois... » Erin esquisse une petite moue boudeuse... En réalité, elle stresse. Elle a peur de foncer droit dans un mur. C'est fou comme, le jour de son mariage, on remet d'un coup tout en question. Vraiment tout, même ce sur quoi on n'avait jamais douté. Elle aime Owen, elle l'aime vraiment. D'un amour sincère, pur. C'est le garçon qui l'a réparée, qui lui a fait oublié ses mésaventures, qui a réussi à lui faire croire en l'amour. Du moins, c'est ce qu'elle tente de se répéter depuis qu'il l'a demandée en mariage et qu'elle a dit le « oui » fatidique... Leur histoire semblait trop belle pour être vraie. Trop belle pour durer. Et la voilà, maintenant, cinq ans après leur premier baiser, dans une robe, prête à avancer jusqu'à l'autel pour lui promettre amour et soutien jusqu'à ce que mort les sépare. «
Tu as l'air bien tendue... Il faut que tu respires, Erin. Tout va bien se passer ! Il faut que tu te fasses confiance. Que tu vous fasses confiance ! » D'un air protecteur, Jonathan pose une main sur l'épaule nue de la future mariée et lui fait un sourire réconfortant. «
Tu veux que je t'aide pour quelque chose? » Le regard de la jolie blonde se perd. En réalité, c'est à Jayden qu'elle pense. Il ne sera pas là. Elle a refusé de l'inviter et sans doute qu'il ne comprend même pas pourquoi.... Une fraction de seconde, elle hésite. Elle relève ses yeux vers son frère, sa demande sur le bout de la langue. Elle aimerait qu'il ait le chercher, finalement. Elle aimerait qu'il soit là, puisque avant qu'elle en tombe éperdument amoureuse, c'était son ami le plus proche. Finalement, elle secoue un peu la tête. Elle se réfute. Elle fuit la réalité. «
Non... Il n'y a rien que tu puisses faire je crois...À part m'amener une bouteille de Gin, histoire que je noie mon stress. » Elle tourne son visage fin vers le miroir et se regarde. Son sourire, un peu forcé néanmoins, s'agrandit. «
Après tout, c'est le plus beau jour de ma vie, non ? »
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21 octobre 2016«
Owen ? Je suis rentrée ! » Erin ferme la porte de leur appartement derrière elle, dépose sa valise à ses pieds. L'appartement est nickel, comme lorsqu'elle est partie. Elle sourit. Elle a hâte de le revoir. Elle traverse le couloir et se dirige jusqu'au séjour. Le soleil inonde la pièce à vivre d'une lumière hivernale incroyable. Erin regarde la pièce en souriant. Soudain, son sourire s'efface. Ses yeux émeraudes se crispent. Elle avance vers la table basse où se tiennent, droites comme des « i », deux coupes de champagne entamées. Le gaz s'évapore doucement.... Le liquide ambré n'a pas été servi il y a très longtemps. La marque du rouge à lèvres carmin sur le rebord d'un des deux verres glace le sang de la jeune femme. Son regard parcourt la pièce rapidement et s'arrête sur la porte de leur chambre à coucher, entre-ouverte. Elle sent une colère monter en elle qu'elle a peur de ne plus réussir à contenir si elle découvre ce qu'elle soupçonne. Elle avance doucement vers la porte de leur chambre et entend un gémissement. Un soupire de plaisir, des « Oh », des « Ahhhn »... Elle se crispe. Ne sait pas si elle doit aller plus loin ou si elle en a déjà trop entendu.... Elle cherche des excuses, des « non, ce n'est sûrement pas mon mari entrain de faire l'amour à une autre femme dans notre lit conjugal... ». Elle a un petit rire nerveux qui s'échappe tout seul. Soudain, un « Tu as entendu ? » très stressé. C'est la voix d'Owen. Erin se mord la lèvre. Tente de se convaincre.... « Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible... » Son bras se dirige vers la porte. Elle la pousse sans vraiment comprendre pourquoi elle le fait. Mode automatique. Une jeune petite poule, allongée sur son lit, sursaute et la regarde les yeux grands ouverts. Son mari, pris la main dans le sac pousse la demoiselle, couvre ses parties génitales, tente de s'éloigner de la scène qui se déroule sous les yeux de son épouse. «
Tu... » Erin ne regarde que lui. Les larmes lui montent. 9 ans de mariage pour ça ? Pour se retrouver sur le seuil de sa propre chambre, à découvrir l'adultère de son mari ? Elle secoue la tête, comme pour tenter de se réveiller. Rien ne bouge. Tout semble figer. Seule la voix de son mari coupe le silence embarrassant... «
Erin ce n'est pas... » La colère monte, parcourt les veines de sa femme, l'enflamme presque. «
Ce que je crois ? Tu vas me dire que cette femme à moitié nu dans NOTRE lit n'est que le fruit de mon imagination peut être ? » Elle a un petit rire nerveux alors qu'une larme roule sur sa joue. «
Tu me dégouttes, Owen. » Le mode automatique reprend. Elle tourne les talons, claque la porte de leur chambre, se dirige d'un pas rapide vers la sortie de cet enfer... Sa valise l'attend, elle n'a plus rien à faire ici. Elle n'a plus rien à faire chez elle...
- Nouveau départ -
Ces derniers jours
Le son strident du réveil sort Erin de son sommeil de façon immédiate. Elle râle, donne un coup énorme sur le petit appareil et se recroqueville sous les draps de satin nacré.
Elle a passé la nuit à faire des cauchemars et n'a eu droit qu'une petite heure de véritable repos. Elle soupire et s'assoit en tailleur, tâtonne sur sa table de nuit, attrape son paquet de cigarettes et son briquet et regarde par la fenêtre en s’adossant contre la tête du grand lit. Il fait un temps radieux. Elle grimace, installe la fine cigarette entre ses lèvres et l'allume, expirant la fumée de la première latte de suite. Elle repense à ses cauchemars... Toujours les mêmes, bien réalistes, qui sont en train de l'épuiser totalement. Pourquoi un événement qui s'est passé il y a si longtemps revient la hanter maintenant ?
Elle soupire et attrape son smartphone : 20 appels manqués de sa mère, 1 sms de son frère et un message vocal d'Owen. «
Tiens, qu'est ce qu'il arrive à mon futur-ex mari ? » Elle ignore les appels, ne prend même pas la peine de regarder le texto et écoute rapidement sa messagerie. «
Hum, Salut Erin. Je t'appelle car mon avocat m'a dit de te prévenir que les papiers du divorce étaient partis par la poste hier. Tu devrais les recevoir bientôt... Je... Si tu veux en parler, tu peux me contacter... » Elle soupire, passe une main dans ses longs cheveux blonds et écrase sa cigarette dans le petit cendrier rouge situé sur la table de nuit de l'hôtel dans lequel elle réside provisoirement. La tête encore lourde de tous ses perpétuels cauchemars, elle saute hors de son lit et file à la salle de bain.
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Cela fait deux semaines qu'Erin a posé pieds à Toronto. Elle s'y est réfugiée pour échapper à son divorce houleux et à sa famille un poil trop envahissante. Journaliste pour un magasine de mode international, elle a demandé une période de congé avant que son transfert officiel soit effectué dans la succursale de Toronto. Elle n'a aucune idée qu'elle va revoir Jayden ici, après tant d'années passées à le fuir.