C'était un après-midi pluvieux et Millicent était seule dans la boutique. Pas un seul client ; ils étaient sûrement tous à l’abri chez eux, au Eaton Center ou dans les souterrains pédestres de Toronto. C’était tant mieux, elle allait pouvoir travailler tranquillement sur des nouvelles pièces. Installée sur son bureau, elle commençait à esquisser des vêtements. Après à peine une heure elle avait inventé 10 nouvelles pièces. Millicent était en feu. Oui, son esprit était tellement en fête qu’elle s’était laissée emporter par son imagination débordante. Frustrée, elle chiffonna ses feuilles et les projeta fort contre un coin du mur. – Fuck this shit ! Elle soupirait et il y avait de quoi être énervée. Elle n’était pas satisfaite de son travail. Elle venait de créer des habits peu faciles à porter et qui ne se vendraient que pour les spectacles de type broadway. Vous diriez que ça ne change pas de son habitude. En effet, ses créations, soit on les aimait, soit on les aimait pas. Elles étaient faites pour des personnes qui osaient s’affirmer, se démarquer et qui n’avaient pas peur du regard des autres. Ce n’était pas du prêt-à-porter de H&M. Alors qu’elle faisait une énième tentative, elle entendit la petite sonnette automatique de sa boutique. Quelqu’un venait d’entrer. Elle se leva de son bureau et se dirigea vers l’avant de la boutique. – Bonjour ! S’exclama-t-elle en sortant d’un paravent avec un sourire prêt à accueillir chaleureusement un nouvel client. Seulement son sourire se crispa et elle se raidit face au jeune homme qui venait d’entrer dans sa boutique. C’était son investisseur Davy. C’était rare de le voir débarquer à l’improviste sans prévenir et Milicent n’avait eu le temps de se préparer psychologiquement pour le recevoir. Elle n’avait pas forcément peur de lui mais elle n’aimait juste pas se retrouver seule avec un glaçon comme lui. C’était parfois awkward et elle aimait s’y préparer. – C’est plutôt rare de te… de vous voir aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous amène ici ? Millicent n’avait vraiment pas l’habitude de vouvoyer un garçon qui avait six ans de moins qu’elle. C’était vraiment trop bizarre. Mais elle s’était vite reprise et se rapprocha de lui pour lui serrer la main. – J’imagine que c’est quelque chose d’important pour vous voir déplacer sous cette pluie et sans rendez-vous. avait-elle déduit. C’était quand même un riche héritier et dirigeant d’une grande corporation. Il était formel mais aujourd’hui il avait laissé tomber les formalités comme si un événement soudain était venu perturber son agenda.

Elle sourit légèrement à sa remarque. Ca devait être une bonne nouvelle. Ce n’était pas tout le temps qu’il complimentait quelqu’un. Enfin, ce n’était pas vraiment un compliment mais elle allait le prendre comme tel. Il venait quand même de supposer qu’elle était perspicace et non une idiote. Néanmoins, sa question en disait beaucoup sur lui et son jugement sur les femmes. Malgré tout le respect qu’il avait pour elle, il se permettait encore de douter de ses connaissances générales.

– Le Japon ? Pays du soleil levant, Tokyo sa capitale,  Nagano et ses jeux olympiques de 1998, séisme et tsunami de 2011, Tae Ashida et Nicola Formichetti,… Dragon Ball.

Un silence. Evidemment, le Japon ne lui était pas inconnu et elle n’avait pas besoin d’être un fan de manga ou de jeux vidéos pour connaître. Au début, elle avait voulu lui dire que le Japon était un pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud mais il allait sûrement le prendre au premier degré et elle serait devenue une imbécile de première à ses yeux. De toute manière, elle voulait rester le plus professionnel possible avec son investisseur peu importe son âge peu importe son caractère. Davy était déjà si sérieux alors qu’il n’était pas encore majeur. Forcé à entrer dans un monde d’adulte bien trop tôt. Millicent se demandait parfois s’il était capable de rire aux éclats comme les garçons de son âge.

– Mais pourquoi cette question ? Je sais, c’est définitivement lié à la grande nouvelle mais encore ?

Elle le regarda avec un air curieux ne comprenant pas vraiment où il voulait en venir. Elle avait donc décidé de lui poser la question. Il n’allait quand même pas jouer aux devinettes ; ce n’était pas son genre. Millicent était de nature plutôt lucide, ce qui faisait d’elle une femme surprenante et perturbante. Elle arrivait facilement à cerner les pensées de quelqu’un mais elle n’était pas un médium. Il ne fallait pas trop demander.

– Vous voulez peut-être m’expliquer tout ça à l’arrière de la boutique pendant que je vous sers un café ou autre?

Davy s’était déplacé jusqu’ici et c’était son investisseur. Elle lui devait bien un peu de bonne manière et d’hospitalité.