Je ne croyais jamais voir le bout de cette réunion. J’aimais pourtant mon travail, il était l’aboutissement de belles années d’études, j’avais su m’imposer et sur le modèle de mon père aujourd’hui, ma vie était reluisante. Le travail ne manquait pas, et j’avais énormément de taches. Depuis peu, je coordonnais une équipe, et ce soir j’avais une réunion.
Ces réunions m’avaient plu ces derniers temps, j’avais un poids, rien que de penser à rentrer à la maison. Depuis la perte du bébé de Leia, j’avais l’impression d’avoir aussi perdu ma femme, et Théo sa maman.
Elle avait été comme invisible dans nos vies, elle ne nous parlait quasiment plus, et je pensais que j’allais la perdre. Je m’étais accroché, j’avais en grande partie assumé notre fils, et j’avais tenu le coup comme j’avais pu.
Un jour, un matin, il y a peu, j’avais revu son sourire, celui qui des années auparavant m’avait foudroyé d’amour sur place. Son visage d’ange illuminé, ses fines lèvres. Ma femme m’avait serré dans mes bras. Ce n’était pas encore le bonheur passé, mais nous progressions, elle sortait, travaillait de nouveau, passait beaucoup de temps avec notre tête blonde, bref nous voulions être heureux de nouveau. Je l’aimais, je l’aime et comme je l’avais promis devant les témoins à notre mariage.
Ce soir, je rentrais, un peu fatigué mais content de retrouver cette maison qui avait repris vie, et mon fils me rappela le plaisir que nous avions d’être de nouveau réunis. Tout était encore fragile, mais je les aimais, et il m’était impossible de renoncer à eux.

Je posais ma malette et accrochais ma veste à l’entrée, portant mon fils, pour le prendre dans mes bras. Il était comme sa mère, ma raison de vivre, et je n’aimais rien d’autre que son sourire, c’est tout le bonheur que je lui souhaitais, vivre heureux, innocent, et que notre famille lui apporte le meilleure.

Ma belle épouse se trouvait vers le plan de travail, le regard perdu à travers la vitre de la cuisine.
J’embrassais mon fils, avant que ce dernier ne retourne jouer, et soulagé d’être à la maison, de retrouver ceux que j’aime, je m’approchais de ma femme.

Je passais derrière elle, glissant ma main autour de sa taille. Le médecin m’avait déconseillé de poser ou d’approcher mes mains de son ventre, de peur que cela reveille la douleur de la perte du bébé. Je m’inclinais, face à tant de beauté, elle était si belle, et j’étais soulagé de la voir revivre doucement.

Je déposais un baiser dans son cou, le parfum dans sa nuque, me laissant rêveur.
Elle avait quelque chose de fabuleux, de naturel, de sophistiqué et pourtant de si simple.
J’avais épousé un ange et aujourd’hui, elle renaissait de ses cendres avec beaucoup de grâce.

“Bonsoir ma chérie, comment vas tu ? Tu as passé une bonne journée?”

Elle sursauta à mon contact, j’aurais cru un instant que c’était parce qu’elle était concentrée, et que mon geste lui était plaisant, mais comme un seau d’eau glacée, elle venait de s’écarter de moi, reniant d’une phrase l’amour que je venais de lui offrir .. “Ne m’appelles pas ta chérie”
Je reculais d’un pas, étonné, et déboussolé par sa réaction.

“Il faut qu’on parle” Chacun de ces mots acérés venaient me piquer à vif. Elle tenait le verre qu’elle venait de se servir, la main serrée fermement sur le pied. Il n’en aurait pas fallu plus pour qu’il se brise, ou que j’en reçoive le contenu.
Elle posa son regard, si intense sur moi, j’essayais de rester neutre. Qu’avait-elle à me reprocher?
“Tu n’as rien à me dire par hasard?”
La question était posée, maintenant il restait à savoir ce qu’elle voulait savoir.
La fatigue me tenait et la tension présente n’arrangeait rien.
Je la savais si fragile, notre vie si délicate, il fallait que je sois fort pour deux. Que malgré tout ce qu’elle peut me reprocher, je reste calme.
Si j’avais fauté qu’elle me le dise, j’essayerais de me défendre, si toute fois elle m’en laisse la possibilité mais j’avais promis de nous aimer quoi qu’il arrive.
J’avais déboutonné le col de ma chemise et mes manches, afin de dénouer ce que je pouvais dénouer.
J’avais envie de m’installer dans le sofa, mais un homme reste droit face à sa femme, surtout vue la situation. Je ne voudrais pas manquer de respect à la femme que j’aime.

“A quel sujet Leia?” J’avais laissé dans mes mots,la distance qu’elle avait instauré
Je restais neutre dans ma réponse ignorant ce qu’elle voulait dire.

Son regard pénétrant attendait quelque chose de moi.
J’ignorais quoi, mais je ressentais la colère qui tressaillait à travers son corps frêle.
J’avais envie de l’enserrer, pour au moins l’apaiser, mais je ne me risquais pas à la contrarier d’avantage.

Son regard se fit encore plus sombre. Et la colère plus intense.
Je redoutais ses mots, mais je la connaissais, ils ne dépasseraient pas le ton nécessaire.
Elle voulait tout comme moi, préserver notre ange.
Je restais prudent et réfléchis un peu, quand une image m’apparut en même temps que sa phrase..
Une faute..

Je baissé les yeux.. comme j’aurais pu m’agenouiller pour lui prouver à quel point je comprenais sa colère.. et sa douleur..

Je revoyais cette nuit, cette soirée interminable..
Une de ces nuits, où je ne croyais à plus grand chose.
Je laissais le sourire de notre fils s’endormir avec lui.. et moi je ne rentrais pas..
Pas ce soir, je voulais sortir.
J’avais besoin de croire que je pouvais vivre encore, que tout redeviendrai normal, que ma femme aurait de nouveau cette flamme dans son regard. Celle qui avait enflammé mon coeur, des années auparavant..
J’avais convié mon meilleur ami à venir boire un verre dans un bar avec moi.
Il n’était pas venu, un imprévu apparemment.
Si seulement, il avait été là ce soir là.. je n’aurais jamais commis cette erreur.

“Leia..” Je voulais affronter son regard, sa douleur, non pas en confrontation, mais pour que son coeur s'épanche, que sa blessure me gifle si cela pouvait l’apaiser.

La nuit et les verres.. le sourire trop facile de cette blonde, ces quelques mots qui m’avaient emporté dans ma faiblesse à finir sous ses draps.. entre ses reins..
Quel homme pitoyable.. comment avais-je pu renoncer ne serait-ce qu’un instant à notre famille.. avec cette fille… Mon amour, ma belle ange.. comment avais-je pu la trahir.

“J’ai fait une erreur.. pardonne moi, j’ai été tellement faible..”

Je n’avais pas d’excuse.. et je lui disais ouvertement, blessé de la voir ainsi affligée.

“Je n’ai pas d’excuse, ni même de mots, pour me justifier.. J’étais tellement perdu.. j’avais l’impression de perdre chaque seconde qui passait, ma femme un peu plus.
J’essayais de m’en tenir à nos souvenirs, à ton visage, que je voulais enserrer alors que toi, tu me fuyais.. tu fuyais tout, tout le monde..
Je te demande pardon.. même si j’imagine que cela n’a aucune valeur à tes yeux..”

J’étais soudain affaibli, presque comme elle, par la douleur que nous imposait ma trahison.

“Tu es la seule que je voulais dans ma vie.. que je voudrais à jamais.. je t’aime Leia. J’étais perdu..” Je terminais mon monologue sur ces mots, comme s’ils pouvaient avoir quelconque valeur...