Je ne savais pas trop quoi penser de la situation. J'étais contente que Caleb ait fait des efforts ces derniers jours mais c'était encore loin d'être gagné et il était à des kilomètres d'être pardonné pour le moment. Ce n'était pas si simple. Ce manège avait duré pendant des semaines et ce n'était pas en quelques jours d'efforts que la peine ressentie allait être effacée. C'était comme ça. Alors oui, bien sûr que ça m'avait fait plaisir qu'il m'emmène à une exposition de photos. C'était une sortie en couple, un moment privilégié. C'était un moment du genre que nous n'avions plus partagé depuis longtemps. Très longtemps. Trop longtemps. Je voyais bien qu'il faisait de son mieux et son sms en milieu d'après-midi pour m'informer qu'il sera à la maison pour le dîner était une énième preuve qu'il essayait. Cependant, je n'étais pas naïve et j'avais du mal à le croire. C'était trop simple. J'avais raison de douter. Même s'il arrivait à rentrer tôt pour une fois, quelque chose me turlupinait depuis le début de la journée. Je rentrais vers dix-huit heures trente et commençai à préparer à manger. Je n'étais pas sûre de devoir préparer à manger pour deux mais peu importait. Au pire, ça irait au frigo comme d'habitude pour plus tard. Pendant que le repas chauffait, je fis à manger aux chats.

J'entendis la porte s'ouvrir et je souris doucement. Il était dix-neuf heures. On pouvait presque considérer ça comme un exploit. "C'est moi !" Je posai mes yeux vers la porte de la cuisine et je répondis simplement: "Dans la cuisine." Il vint près de moi et m'offrit un baiser. C'était assez chaste, c'était loin d'un baiser passionné. Je n'étais pas d'humeur et puis franchement, c'était quand même encore un peu tendu entre nous quoi qu'on en dise. "Tiens, c'est pour toi !" Il me présentait un bouquet de roses rouges. Je lui adressai un petit sourire un peu triste. Je doutais. De tout un tas de choses. Et ce n'était pas de bonne augure. Pas du tout même. Je pris les fleurs et dit d'une voix calme mais un peu "distante" si je puis dire ça comme ça: "Merci, elles sont magnifiques..." Je n'y mettais clairement pas autant d'entrain qu'à une époque quand il m'offrait des bouquets de fleurs aussi magnifiques que celui-là. J'adorais les fleurs et il le savait très bien. Je m'occupais de les mettre dans un vase. "Tu as passé une bonne journée ?" Je soupirai un peu en évitant son regard. Je n'avais pas envie de gâcher les efforts qu'il avait fournis ni de le dégoûter d'être rentré plus tôt. Mais j'avais besoin de parler de ça et tant pis si ça partait en dispute. "Oui... Mais j'étais pas très concentrée..." Je levai mes yeux vers lui. "Je peux savoir qui est cette femme que tu as eu le temps de rencontrer dans un parc?" Je pris le vase pour aller le poser sur la grande table de la salle à manger qu'on utilisait que quand il y avait du monde ou pour les dîners romantiques. Sinon, on mangeait en général dans la cuisine quand on était que tout les deux.

Je ne savais plus trop quoi penser. Les fleurs m'auraient fait plaisir, extrêmement plaisir, en d'autres circonstances. Là, j'avais passé la journée à me demander qui était la femme avec laquelle il avait été vu dans le parc. Est-ce-que je le soupçonnais de me tromper? Oui! Non! Enfin... Peut-être. Vous savez, ça faisait dix ans qu'on était ensemble et on ne peut pas dire qu'on s'entendait à merveilles en ce moment. C'était régulièrement tendu, on se disputait très souvent... C'était clairement pas de la tarte. Pourtant, au fond de moi, je me disais que c'était impossible qu'il fasse une chose pareille et surtout, Caleb était bien trop intelligent pour s'afficher dans un parc en pleine journée avec celle avec laquelle il me tromperait. Donc, tout portait à croire que non, il ne me trompait pas avec cette femme. Mais du coup, d'autres choses en découlaient et ça faisait mal aussi. "C'était un rendez-vous professionnel." Je levai les yeux vers lui. Je voulais bien le croire. J'en avais très envie. "Je reste trop enfermé dans mon bureau toute la journée, alors je me suis dit que j'allais faire d'une pierre deux coups et proposer ce rendez-vous à l'extérieur." La faute à qui si il restait tellement enfermé dans son bureau? Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. J'avais déjà essayé à de nombreuses reprises de faire des trucs avec lui, mais même nos dîners prévus une fois par semaine tombaient à l'eau. Donc oui, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même si il était trop enfermé.

"C'était Sloann, une amie avocate. Elle aimerait représenter ma société." Ainsi donc, elle s'appelle Sloann. Prénom original. J'avais gardé le silence parce que j'attendais une explication plus précise, explication qu'il me fournit assez rapidement et sans que je ne demande quoi que ce soit en plus. Il s'approcha et posa ses mains sur mes épaules. Je reculai. Je n'avais pas très envie qu'il me touche. Je risquais encore de céder et je n'en avais pas tout à fait terminé avec lui. "Je ne sais pas ce que tu es allée imaginer, mais je t'assure que c'est tout." Cette fois, c'était le moment pour moi de prendre la parole. "Tu te rends compte de ce que tu dis?" Je laissai s'écouler quelques secondes en le regardant dans les yeux, laissant le temps à ma question de faire son petit bonhomme de chemin dans le cerveau de mon fiancé. Je repris ensuite la parole. "Je veux bien croire que c'était qu'un rendez-vous professionnel. Mais tu réalises que tu sors pour des rendez-vous d'affaires alors que t'es même pas fichu de venir à un dîner avec ta fiancée?" Je ne criais pas. Mais ce que je disais ne laissait place à aucun doute possible sur ce que je ressentais avec tout ça.

Peut-être que j'exagérais. Peut-être que je n'arrivais pas à faire la part des choses, à voir les efforts évidents que faisait Caleb pour réparer les dégâts qu'il avait commis. Peut-être que cette fois, c'était moi qui faisait une erreur, qui allait trop loin. Seulement... J'ignorais pourquoi mais un rien me faisait imaginer des trucs. Je veux dire... Quand un homme délaisse sa fiancée, c'est souvent soit pour le travail, soit pour une autre femme. Dans la majorité des cas. Je savais que Caleb était fidèle, je le sentais au fond de mon cœur et de mon âme. Mais... Il sortait avec son amie avocate pour parler boulot. Il sortait. Prenait l'air avec elle. Quand c'était la dernière fois qu'on était allé se promener au parc? Au cinéma? Faire du patin à glace? J'avais cessé de compter. Alors oui, bien sûr, il m'avait amenée à une exposition photos. Mais soyons honnête, c'était sûrement plus pour rattraper toutes les annulations et lapins posés ces derniers temps qu'autre chose. "J'aurais très bien pu la recevoir dans mon bureau. Le résultat aurait été le même." Pardon?! "Le résultat n'aurait pas été le même. Tu aurais rencontré une avocate dans le cadre de ton travail. Tu serais pas allé prendre le soleil avec elle alors que la dernière fois que t'es allé faire un truc avec ta fiancée, sans avoir à te faire pardonner un truc, remonte à... longtemps." Bon, d'accord... Peut-être bien que j'allais trop loin. Que je cherchais la petite bête où il n'y en avait pas. Et je m'en rendais compte mais j'avais l'impression que je ne pouvais pas faire marche arrière maintenant que j'avais lancé ça.

"Je suis là ce soir, non ? Je sais très bien que j'ai fait n'importe quoi ces derniers temps et je sais aussi que je ne pourrai probablement jamais effacer ces derniers mois où je n'étais pas là pour toi... Mais je fais de mon mieux, là." C'était vrai qu'il faisait des efforts mais je ne pouvais pas m'empêcher de me demander combien de temps ça allait durer. Combien de temps ça allait mettre avant qu'il ne recommence à privilégier son travail sans arrêt. "Qu'est-ce que tu attends de moi, Sienna ? J'ai l'impression que peu importe ce que je fais, ce ne sera jamais suffisant." Je baissai mon regard. Et si il avait raison? Et si finalement, il pouvait faire tout ce qu'il voulait et que ça n'arrangeait jamais les choses? Et si je restais bêtement butée sur ses erreurs au lieu d'enfin passer à autre chose? Et si au final, c'était pas ses erreurs mais moi, qui foutait ce couple en l'air...? "Je sais pas... Je sais pas ce que j'attends de toi... J'ai... Je sais que tu fais des efforts mais je peux pas m'empêcher de me demander combien de temps ça va durer et le moindre truc me met en pétard parce que j'ai sans cesse l'impression de passer après... après tout le reste..." Je n'avais jamais eu toutes ces craintes avant. Je vivais bien. Je le laissais faire tout ce qu'il voulait sans jamais avoir peur de passer après son travail, après ses amis, après X ou Y. Pourquoi est-ce-que maintenant, je me sentais menacée pour rien et encore une fois rien? Je l'ignorais... Alors je gardai les yeux baissés parce que je me rendais compte que je faisais une scène pour rien et même si je refusais de l'admettre à voix haute, j'en avais intérieurement conscience.

Sa question résonne dans ma tête comme un écho au beau milieu de montagnes. "Pourquoi tu ne peux pas simplement profiter du moment présent au lieu d'imaginer ce qui pourrait se passer demain ?" Je n'ai pas la réponse. J'y réfléchis mais je ne connais pas moi-même la réponse alors comment pourrais-je lui la fournir? Il y a quelque chose qui me bloque, qui m'empêche de profiter de l'instant présent. Peut-être est-ce parce qu'à chaque fois que j'ai mis de côté mes craintes, il m'a refait faux-bond? Peut-être est-ce de la paranoïa? Une angoisse perpétuelle - qui n'a sans doute pas lieu d'être - et qui refuse de s'en aller? Devrais-je aller consulter un psy? Je l'entends soupirer de loin alors que cette idée s'insinue dans ma tête. Est-ce-que j'ai été traumatisée enfant et j'ai besoin de voir un psy pour me... "réparer"? Non, pas que je sache. A moins que mon père frappant ma mère m'aurait quand même traumatisée plus que je ne l'aurais pensé? Quel rapport avec Caleb et nos problèmes de couples? Sûrement aucun puisque le problème n'était pas du tout une peur de le voir violent ou quoi que ce soit du genre. Mais après tout, aller voir un psy ne veut pas dire que j'ai été traumatisée enfant. Sauf que quelque chose me bloque et voir un psy pourrait m'aider à aller mieux et à débloquer tout ça. Sa phrase suivante me tire de mes pensées. "J'ai l'impression que tu ne me fais plus confiance." "Quoi?! Non, c'est pas ça..." Enfin, je crois. Non, j'avais confiance en lui. C'était en tout le reste que je n'avais plus confiance, je crois. Enfin, j'imagine. J'en savais rien! Et réfléchir à tout ça me prenait la tête. "J'ai confiance en toi Caleb. Le problème n'est pas là. Le problème... C'est moi, j'imagine." C'était vrai que je devais avoir un gros problème parce que si on réfléchissait bien, je n'avais pas tant que ça à me plaindre. J'avais un fiancé beau, intelligent, gentil, tendre, drôle... Certes, qui avait fait des erreurs mais qui faisait tout pour se rattraper et se faire pardonner. Et puis, qui ne faisait pas d'erreur dans la vie? Tout le monde en faisait. En plus de tout ça, j'avais un toit au dessus de ma tête, un boulot que j'aimais plus que tout et je venais de me découvrir un demi-frère qui était vraiment cool. Alors qu'est-ce-qui n'allait pas chez moi pour que je continue à chercher des histoires avec Caleb?!

"Je suis fatigué de tout ça." Je baissai les yeux. Moi aussi j'étais fatiguée de tout ça. Fatiguée de ne pas comprendre où était mon problème, fatiguée de causer des disputes etc... "Si je le pouvais, je reviendrais en arrière, je ferais les choses différemment. Mais on ne pas changer le passé. Par contre, on peut décider de la direction que prendra notre avenir...Et cet avenir, je ne le vois pas sans toi, Sienna." C'était bien ce que je disais: j'avais un fiancé génial qui n'avait fait que quelques erreurs et qui ne méritait sûrement pas ce que je lui faisais actuellement subir. Il vint vers moi et posa sa main sur ma joue. Je relevai mon regard vers lui et il déposa un baiser chaste sur mes lèvres. "Si je dois passer le rester de ma vie à me faire pardonner, je le ferai...", dit-il en caressant ma joue doucement. J'hochai la tête légèrement et murmurai: "Je sais..." J'hésitai avant d'ajouter, toujours en murmurant: "Ce sera pas nécessaire..." Je devais faire un travail sur moi si je voulais que ça s'arrange entre lui et moi. Je ne pouvais pas continuer comme ça alors qu'il faisait de gros efforts. Les compromis, c'était des deux côtés que ça devait se faire pour qu'un couple fonctionne. Je baissai les yeux et demandai, timidement: "Tu crois que je devrais aller voir un psy?" Je plaisantais. Mais qu'à moitié. Peut-être que c'était la chose à faire après tout. Qui sait?